L'étudiante-chercheuse, qui a mené ses travaux sous la supervision de Denis Roy et de Gisèle Lapointe, a analysé la structure des populations microbiennes trouvées dans la sève de 19 érablières réparties dans six régions du Québec. Une centaine d'espèces de bactéries et de levures avaient déjà été répertoriées dans la sève d'érable; grâce à des techniques d'analyse génomique, Marie Filteau en a découvert 35 nouvelles. Plus important encore, elle a établi un lien entre la présence de certains microorganismes et des flaveurs typiques du sirop d'érable. «Nous n'avons pas démontré une relation de cause à effet, mais lorsque ces microorganismes sont présents, le sirop est meilleur», commente-t-elle.
Ses recherches révèlent que cinq espèces seraient communes à toutes les érablières étudiées. Pour le reste, chaque érablière aurait une signature microbienne propre qui dépendrait des conditions locales et peut-être même de l'acériculteur qui pratique les entailles. En effet, la sève qui coule dans un érable sain est pratiquement exempte de microorganismes; l'inoculation se produit au moment de l'entaillage. «Même si des mesures d'hygiène sont appliquées, les conditions ne sont pas stériles, souligne Marie Filteau. Les microorganismes présents sur l'écorce, sur les outils et même sur les mains des acériculteurs se retrouvent dans l'entaille, sur le chalumeau et, éventuellement, dans la tubulure où ils forment un biofilm.»
Si certaines espèces ont des effets positifs sur la sève, d'autres en altèrent la saveur au point d'en réduire la valeur marchande. Il y a donc un équilibre délicat à maintenir dans la microflore de la sève. «Il faudrait être en mesure d'éliminer les espèces indésirables et d'inoculer la sève avec celles qui améliorent les caractéristiques du sirop», résume Marie Filteau.
Ainsi, chaque printemps, un producteur pourrait nettoyer à fond la tubulure de son érablière et tremper ses chalumeaux dans une solution contenant des microorganismes favorables. «Des échantillons de la sève qui a produit le meilleur sirop une année donnée pourraient être congelés pour servir d'inoculum le printemps suivant.» La stabilité des communautés microbiennes contribuerait au maintien de la typicité et pourrait conduire à une appellation d'origine contrôlée, ce qui donnerait une valeur ajoutée aux produits de l'érable québécois, avance la chercheuse.
Avant d'en arriver là, il faudra encore peaufiner les connaissances sur la microflore de la sève et les flaveurs du sirop d'érable, prévient-elle. «C'est un sujet très complexe parce qu'il dépend de nombreuses interactions entre les microorganismes et les molécules de la sève.» Ce n'est pas d'hier que des chercheurs tentent de percer les secrets du sirop d'érable. D'ailleurs, la première thèse en sciences réalisée à l'Université Laval, signée par Arthur Labrie, s'intitulait Contribution à l'étude de la matière aromatique des produits de l'érable. C'était il y a 80 ans exactement.