L'étudiante-chercheuse et ses codirecteurs, Jean-Claude Ruel, du Département des sciences du bois et de la forêt, et Sylvie Gauthier, du Service canadien des forêts, viennent coup sur coup de publier deux études qui décrivent l'ampleur de cette perturbation dans les forêts boréales situées sur la Côte-Nord, entre l'estuaire du Saint-Laurent et le réservoir Manicouagan. À l'aide de données d'inventaires couvrant trois décennies, les chercheurs ont établi que les vents avaient couché les arbres sur près de 7% de la superficie des forêts de ce vaste territoire.
Théoriquement, les chablis compléteraient une révolution de l'ensemble du territoire en 450 ans. À titre comparatif, le cycle de la tordeuse des bourgeons de l'épinette est de 2860 ans alors que celui des feux varie des 250 à 600 ans, rapportent les chercheurs dans les pages de la revue Forestry.
«Contrairement à ce qu'on observe dans le centre et dans l'ouest du Québec, les chablis sont d'une importance qui s'apparente à celle du feu dans ces forêts, sans doute en raison des conditions d'humidité qui y prévalent, suggère Kaysandra Waldron. Le résultat est que ce territoire compte beaucoup de forêts surannées, vulnérables aux chablis.»
Environ 90% des épisodes qui touchent ces forêts sont des chablis partiels (les arbres ont été déracinés sur moins de 75% de la superficie couverte par la forêt dans chaque parcelle). «Les études antérieures ne s'étaient pas attardées à ce type de chablis. Nos travaux montrent que leur effet cumulatif est loin d'être négligeable sur l'ensemble du territoire», fait valoir l'étudiante-chercheuse.
Dans une autre étude, que vient tout juste de faire paraître Forest Ecology and Management, les trois chercheurs documentent l'effet de la récupération du bois par les compagnies forestières dans les zones de chablis. «L'aménagement écosystémique, dont s'inspire la Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier qui entrera en vigueur en avril 2013, vise à ce que les opérations forestières imitent les perturbations naturelles. C'est ce qui nous a amenés à comparer les attributs des zones exploitées et des zones non exploités après chablis», explique Kaysandra Waldron.
Résultats? Les zones où l'industrie forestière est passée comptent beaucoup moins de chicots et d'arbres vivants, moins de débris ligneux au sol et moins de diversité dans les stades de décomposition des débris et des arbres morts. De plus, on y trouve moins de cuvettes et de monticules créés par les arbres renversés. En deux mots, les sites récupérés sont plus homogènes et donc moins aptes à soutenir la biodiversité naturelle de ces écosystèmes.
«Dans une vision d'aménagement écosystémique, il serait important de conserver une certaine proportion de chablis intacts, comme on le fait déjà. Pour les chablis où il y a récupération du bois, il faudrait limiter le nombre de sentiers empruntés par la machinerie et s'assurer de conserver des arbres morts, des chicots et des arbres vivants dans certains secteurs. Cela réduirait les écarts qu'on observe entre les forêts naturelles et les forêts aménagées après chablis. Par ailleurs, les coupes autorisées dans les forêts boréales matures de l'est du Québec devraient calquer le plus possible l'effet que produisent naturellement les chablis dans ces milieux», recommande l'étudiante-chercheuse.