L’Institut Femmes, Sociétés, Égalité et Équité et la Chaire de leadership en enseignement en santé des femmes de l’Université Laval rendent aujourd’hui public le volet québécois de l’étude intitulée La pilule abortive au Québec en 2019: pourquoi n’est-elle pas plus accessible?, portant sur l’implantation de la pilule abortive dans les soins de première ligne au Canada.
L’objectif de l’étude qualitative supervisée par les docteures Édith Guilbert, de la Faculté de médecine de l’Université Laval, et Marie-Soleil Wagner, de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, était de déterminer les facteurs ayant facilité l’implantation de la pilule abortive dans les soins de santé de première ligne au Québec et ceux y ayant fait obstacle.
Rappelons que la pilule abortive est une combinaison médicamenteuse visant à déclencher un avortement médical pendant le premier trimestre de la grossesse. Elle a été conçue en France au début des années 1980 et a été approuvée pour la première fois en 1988. Dans les années 1990, elle est devenue accessible en Europe, où elle est utilisée, selon les pays, par 20% à 90% des femmes désirant une interruption volontaire de grossesse. Elle est accessible aux États-Unis depuis l’an 2000. Au Canada, la pilule abortive est devenue accessible en janvier 2017 et au Québec, en 2018.
Dans le cadre de l’étude, les propos de 37 médecins de famille et obstétriciens-gynécologues de diverses régions du Québec travaillant en santé des femmes ont été recueillis lors d’entrevues téléphoniques individuelles.
Voici les principaux constats établis à la suite de ces entretiens avec les médecins participants:
Le système de santé québécois a les qualités requises pour absorber cette innovation
La culture d’apprentissage proactive est bien acceptée
L’anticipation administrative est adéquate, c’est-à-dire le remboursement du médicament et la rémunération des médecins
La communauté de praticiens canadienne est disponible pour soutenir les professionnels
Les avantages de l’avortement avec la pilule abortive sont reconnus
Toutefois, les médecins participants interrogés au cours de l’étude ont quant à elles constaté plusieurs freins à la mise en place de cette pratique médicale:
Les normes de pratique sont considérées comme confuses et non adaptées aux besoins, disponibilités et préférences
Les services de santé sont complexes (processus d’approbation, distribution du médicament, corridors de service, etc.)
Les ressources sont fragiles, y compris en clinique d’avortement
Le leadership provincial et de diffusion formelle est absent
Il y a une culture qui préconise l’avortement chirurgical
Conclusions
Cette étude fait apparaître plusieurs barrières règlementaires à l’accessibilité de l’avortement médical avec la pilule abortive au Québec. La formation donnée aux médecins pour les rendre aptes à utiliser la pilule abortive dans leur pratique est la plus exigeante au Canada, ce qui fait que les médecins ne travaillant pas en clinique d’avortement sont peu enclins à l’offrir. Les infirmières praticiennes spécialisées ne sont pas non plus encouragées à la recommander. Pourtant, dans le monde, la pilule abortive est de plus en plus prescrite par des professionnels autres que les médecins, comme des infirmières, des sages-femmes, des infirmières assistantes, des médecins assistants et des pharmaciens. Les femmes peuvent aussi se la procurer par elles-mêmes en ligne. «Dans toutes les provinces canadiennes, sauf au Québec, les infirmières praticiennes spécialisées sont autorisées à la prescrire de façon indépendante, sans supervision», fait valoir Édith Guilbert.
«C’est donc dire que les standards actuels de pratique de l’avortement médical avec la pilule abortive au Québec ne suivent ni l’évolution de l’acceptation sociale de l’avortement, ni la libéralisation progressive de l’avortement, ni l’évolution des pratiques médicales, ni les développements de la formation médicale, ni les données scientifiques; et le réseau actuel de médecins des cliniques d’avortement du Québec ciblés pour adopter cette pratique a non seulement peine à offrir cette nouvelle option, mais ne répond possiblement pas à la demande de la population», ajoute-t-elle.
La complexité du système de santé québécois est aussi abordée dans cette étude sur l’implantation de l’avortement médical avec la pilule abortive. Cette complexité est évoquée par de nombreuses participantes, quel que soit leur niveau d’engagement dans cette nouvelle pratique. Elle se décline de nombreuses façons: lenteur de l’approbation de nouveaux protocoles de soins, difficulté à trouver les gestionnaires pouvant faire cheminer le dossier, gestionnaires embourbés ou manquant d’intérêt, difficulté à développer des corridors de service, difficulté à recruter des médecins, confusion dans la distribution du médicament et inertie administrative en l’absence de directives ministérielles. À cette complexité, s’ajoute le manque de ressources humaines (infirmières, travailleuses sociales et personnel administratif) et matérielles (surtout l’échographie) pour soutenir le travail médical et, dans une moindre mesure, les incertitudes quant à la collaboration de certains collègues.
Selon des données pharmaceutiques, après les 18 premiers mois d’accessibilité de la pilule abortive, plus de 40% des femmes de Colombie-Britannique et plus de 30% des Ontariennes obtenant un avortement s’en prévalaient, tandis qu’au Québec, après la première année, cette proportion n’était que de 9%. Selon des données de la Fédération du Québec pour le planning des naissances, 15 mois après la disponibilité de la pilule abortive au Québec, 47% des cliniques d’avortement, surtout en milieu rural, n’offraient toujours pas l’avortement médical avec la pilule abortive.
«Ces constats démontrent qu’il reste beaucoup de travail à accomplir pour faire en sorte que les Québécoises puissent se prévaloir d’un véritable choix entre l’avortement chirurgical et l’avortement médical», indique la professeure Marie-Soleil Wagner. «Tel que d’autres auteurs l’ont mentionné, plusieurs pays sont lents à adopter les règlements et les protocoles appropriés aux nouvelles technologies. C’est le cas du Québec qui, comparativement à d’autres provinces comme la Colombie-Britannique, l’Ontario ou l’Alberta, présente des difficultés à rendre la pilule abortive accessible», a conclu Édith Guilbert.
L’étude sur l’implantation de la pilule abortive dans les soins de première ligne au Canada a été rendue possible grâce à des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada, la Michael Smith Foundation et la Society of Family Planning.