
Le professeur La Rochelle, David Simonyan, du Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, et Joel Lexchin, de l'Université York, ont fait appel aux bases de données de la FDA et de PubMed pour répertorier tous les médicaments ayant fait l'objet d'un retrait pour des raisons de sécurité aux États-Unis entre 1976 et 2010. Le fruit de leur travail, publié dans Pharmaceutical Medicine, se solde par une liste de 34 médicaments, dont le plus célèbre est le rofécoxib, un anti-inflammatoire mis en marché en 1999 sous le nom de Vioxx. Ce produit a été retiré du marché cinq ans plus tard après avoir été associé au décès de dizaines de milliers de personnes aux États-Unis seulement.
Le temps écoulé entre la mise en marché d'un médicament et son retrait est très variable, ont observé les chercheurs. Onze médicaments ont fait l'objet d'un retrait dans les deux premières années qui ont suivi leur commercialisation, alors que 10 médicaments sont demeurés sur le marché pendant 10 ans ou plus. L'un d'eux, le propoxyphène, a été retiré en 2010, 53 ans après son arrivée sur le marché. «Le risque de retrait d'un médicament est plus grand dans les premières années qui suivent sa mise en marché, mais il ne disparaît jamais totalement, souligne le professeur La Rochelle. Cela suggère qu'il y a un manque de connaissances sur l'innocuité des médicaments au moment où ils sont approuvés et que, souvent, les problèmes sont constatés beaucoup plus tard. En Europe, un médicament a même été retiré après avoir été vendu pendant 131 ans.»
Le type de preuves conduisant au retrait d'un médicament a évolué au fil des ans, ont constaté les chercheurs. En 1985, 100% des retraits résultaient de déclarations de cas. «Il s'agit de patients ou de médecins qui rapportent à une agence comme la FDA ou Santé Canada des problèmes de santé qu'ils associent à la prise d'un médicament. Ces déclarations constituent une preuve de faible qualité étant donné qu'il s'agit peut-être de coïncidences», fait valoir le professeur La Rochelle. En 2010, les déclarations de cas n'étaient en cause que dans la moitié des retraits. «On fait maintenant davantage appel aux études comparatives, randomisées ou non, qui sont plus convaincantes sur le plan de la méthodologie scientifique. Les bases sur lesquelles les organismes de régulation comme la FDA prennent leur décision se sont améliorées au cours des dernières décennies.»
Il reste que les problèmes conduisant à la mise en marché de médicaments dont on ne connaît pas tous les effets négatifs sur la santé sont encore présents aujourd'hui, souligne le professeur La Rochelle. Les études précommerciales sont souvent de courte durée et elles sont menées sur des groupes de taille restreinte dont les sujets sont sélectionnés. «On fait souvent appel à des adultes relativement jeunes, en bonne santé, qui prennent peu de médicaments. Les enfants, les femmes en âge d'avoir des enfants, les personnes âgées et les personnes atteintes de nombreuses maladies sont souvent exclus de ces études. Les effets d'un médicament sur ces personnes ne sont constatés qu'après sa mise en marché. La même chose se produit chez les personnes porteuses de gènes rares qui métabolisent différemment un médicament.»
La solution à ce problème n'est pas simple, reconnaît Pierre La Rochelle. Avant d'autoriser un nouveau médicament, il faudrait enlever une plus grande part d'incertitude quant aux risques qu'il comporte en menant de grandes études multicentriques dans plusieurs pays, suggère-t-il. Ces études devraient avoir une durée suffisante et inclure des catégories de sujets présentement écartés des essais précommerciaux. «En raison des coûts élevés associés à une telle approche, il y a peu de chance que les compagnies pharmaceutiques l'adoptent, à moins d'y être contraintes. C'est là que les gouvernements ont un rôle à jouer. Pour le bien public, ils devraient exiger des preuves de meilleure qualité avant d'autoriser la mise en marché d'un nouveau médicament.»