Prendre des composés naturels pour prévenir ou traiter une maladie neurodégénérative? Cette idée aurait été accueillie avec beaucoup de scepticisme il y a 20 ans, mais le volume d'études suggérant que les oméga-3 et les polyphénols ont des effets contre le déclin cognitif, la démence ou l'alzheimer est devenu difficile à ignorer. Et le fait que les polyphénols parviennent difficilement à entrer dans le noble organe n'est pas en soi une raison suffisante pour écarter leur potentiel en matière de neuroprotection, soutiennent trois chercheurs de l'Université Laval dans un article publié récemment dans l'International Journal of Molecular Sciences.
Signe que le sujet s'impose dans la discussion, c'est à l'invitation de cette revue que Manon Leclerc et Frédéric Calon, de la Faculté de pharmacie et du Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval, et Stéphanie Dudonné, du Département de phytologie, tous trois rattachés à l'Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels et au Laboratoire international OptiNutriBrain, ont produit une synthèse des connaissances sur la question.
Précisons d'abord qu'il n'est pas question ici de guérir les personnes souffrant d'alzheimer à l'aide d'oméga-3 ou de polyphénols. «Leur utilisation est envisagée dans la prévention à long terme ou pour ralentir la progression d'une maladie neurodégénérative», précise le professeur Calon.
Les effets documentés des oméga-3 d'origine marine sur le cerveau sont plus facilement admis que ceux des polyphénols. En effet, les oméga-3 franchissent aisément la barrière hématoencéphalique, un système qui contrôle le passage des molécules entre la circulation sanguine périphérique et le système nerveux central. Le cerveau a un «appétit» pour les oméga-3 et, lorsqu'on lui en fournit, il les intègre spontanément à ses tissus. Les études épidémiologiques montrent que la prévalence de démence et d'alzheimer est plus faible dans les populations où la consommation d'oméga-3 d'origine marine est élevée. Par contre, les études cliniques n'ont pas produit des résultats aussi probants.
Le même constat vaut pour les polyphénols, une grande famille de molécules végétales particulièrement abondantes dans le café, le thé, le cacao et les petits fruits. Les études épidémiologiques montrent une association entre leur consommation et le maintien des fonctions cognitives, la prévention du déclin cognitif dû à l'âge et les risques de maladies neurodégénératives. Ici encore, les conclusions des études cliniques sont moins tranchées.
«Dans les études cliniques sur des médicaments, les sujets du groupe témoin ne prennent pas le produit qui est testé, souligne Frédéric Calon. Par contre, dans les études sur des molécules naturelles, rien n'empêche les sujets du groupe témoin de consommer ces composés dans leur alimentation, ce qui peut brouiller les résultats. De plus, le devis de ces expériences consiste à fournir des suppléments purifiés aux sujets du groupe expérimental. Il est possible que les effets des oméga-3 et des polyphénols observés dans les études de population proviennent d'interactions entre ces composés et d'autres molécules qui se trouvent dans les aliments.»
Les doutes quant aux effets neuroprotecteurs des polyphénols viennent aussi du fait que notre alimentation nous en fournit à peine 1g par jour, que plus de 90% de ce qui est ingéré n'est pas absorbé, et que ce qui l'est ne se rend pas au cerveau parce que la barrière hématoencéphalique les bloque. «La concentration de ces molécules dans le cerveau est jugée trop faible pour produire un effet. Notre hypothèse est que ces molécules agissent ailleurs dans le corps et que leurs effets se répercutent sur le cerveau», avance Frédéric Calon.
Le cerveau ne fonctionne pas en vase clos, poursuit le chercheur. «Les polyphénols ont des effets cardiovasculaires qui agissent sur la circulation sanguine cérébrale, des effets métaboliques, des effets sur la barrière hématoencéphalique et des effets sur le microbiote intestinal et le système nerveux entérique (qui innerve le système digestif) et qui est connecté au cerveau par le nerf vague. Ce n'est pas parce que les polyphénols n'entrent pas dans le cerveau qu'il faut conclure qu'ils ne peuvent avoir d'effets neuroprotecteurs», résume le chercheur.
Cela dit, peut-on vraiment espérer que ces composés naturels puissent jouer un rôle dans la lutte contre les maladies neurodégénératives? «Nous devons demeurer réalistes, répond Frédéric Calon. Les plus importantes retombées des recherches sur le sujet viendront des changements que les gens pourraient apporter à leur alimentation et les effets se manifesteront à long terme. Pour ce qui est des applications thérapeutiques, la consommation d'oméga-3 et de polyphénols est un des éléments qui peut faire partie des multi-interventions préconisées pour ralentir la progression de ces maladies. D'un point de vue pharmacoéconomique, le rapport entre les bienfaits de ces composés et les coûts et les risques qui y sont associés est très élevé comparé aux médicaments brevetés. Il vaut la peine d'investir davantage en recherche sur ces composés.»