16 septembre 2021
L'histoire d'un groupe inuit disparu inscrite dans les sédiments d'un étang arctique
Situé sur l'île Southampton, cet étang porte la signature de l'évolution des habitudes alimentaires des Sadlermiuts, mais aussi la marque de la pollution générée dans le Sud
Les étangs et les lacs de l'Arctique ont très peu de résilience face aux changements environnementaux, ce qui en fait de précieux témoins pour reconstituer le passé à partir des sédiments qui s'y accumulent au fil du temps. Une étude qui vient de paraître dans la revue Scientific Reports en fait une nouvelle démonstration. En effet, une équipe interdisciplinaire a mis en lumière les impacts des activités de subsistance d'un groupe inuit disparu il y a un peu plus d'un siècle et des activités industrielles menées dans le Sud sur un étang situé dans une région très isolée de l'Arctique.
«Nous avons établi l'évolution des habitudes alimentaires des Sadlermiuts depuis leur arrivée sur l'île Southampton au 13e siècle jusqu'à leur disparition en 1903. Nous avons aussi été en mesure d'associer cette évolution aux changements climatiques survenus pendant ces huit siècles», résume l'un des auteurs de l'étude, Reinhard Pienitz, professeur au Département de géographie et chercheur au Centre d'études nordiques de l'Université Laval.
Les Sadlermiuts habitaient les îles Southampton, Coats et Walrus au nord de la baie d'Hudson. Ils parlaient une langue distincte et ils avaient peu de contacts avec les autres groupes inuits. Au milieu du 19e siècle, leur population comptait encore plus de 200 personnes, mais en 1903, à la suite d'une maladie infectieuse indéterminée qui aurait été apportée par des marins britanniques, les seuls survivants, une femme et quatre enfants, ont été relocalisés sur la terre ferme dans le village de Naujaat.
Pour reconstituer les habitudes de vie des Sadlermiuts au fil des siècles, les chercheurs ont analysé les différentes couches de sédiments d'un étang situé à Native Point, un important site archéologique localisé sur la côte sud-est de l'île Southampton. «L'étang servait au dépeçage des prises. On y retrouve encore aujourd'hui les crânes et les ossements des mammifères dont ils se nourrissaient», précise le professeur Pienitz.
Les chercheurs ont comparé différents indicateurs géochimiques et bioindicateurs – des restes de diatomées, de crustacés et de larves d'insectes révélateurs des conditions environnementales locales – de l'étang de Native Point à ceux de neuf lacs et étangs de la région qui n'avaient pas été utilisés par les Sadlermiuts. Leurs analyses ont permis de dresser les constats suivants.
L'arrivée des Sadlermiuts est survenue entre 1250 et 1300, soit de 25 à 75 années plus tôt que les précédentes estimations. Ils se seraient installés sur l'île à la faveur d'une période chaude appelée l'optimum climatique médiéval ou embellie de l'an 1000.
L'utilisation du site a entraîné une brusque augmentation de la productivité de l'étang, attribuable aux éléments nutritifs provenant des activités de dépeçage. On constate notamment une élévation rapide du fer, un élément abondant dans le sang.
Au début du début du petit âge glaciaire, soit aux alentours des années 1400, les Sadlermiuts se sont progressivement tournés vers des espèces terrestres, les caribous et les bœufs musqués, probablement parce que la chasse aux mammifères marins était devenue difficile en raison de l'expansion des glaces dans la baie d'Hudson.
À partir des années 1800, les indicateurs géochimiques sont en baisse, suggérant une diminution des activités de subsistance à Native Point ou un déclin de la population des Sadlermiuts.
À partir des années 1850, on observe une élévation des concentrations de plusieurs métaux dans les sédiments. Cette augmentation se poursuit encore aujourd'hui.
«Ces hausses sont attribuables au transport sur de longues distances des polluants générés par l'activité industrielle, avance le professeur Pienitz. L'étang de Native Pond est aujourd'hui un milieu profondément perturbé en raison des activités locales de subsistance qui s'y sont déroulées pendant huit siècles et en raison de la pollution industrielle générée à des milliers de kilomètres de là. Notre étude démontre l'extrême vulnérabilité et la faible résilience de ces milieux.»
Les autres auteurs de l'étude parue dans Scientific Reports sont Finn Viehberg, de l'Université de Greifswald, Andrew Medeiros, de l'Université Dalhousie, Birgit Plessen, du GFZ German Research Centre for Geosciences, et Xiaowa Wang et Derek Muir, d'Environnement et Changement climatique Canada.