«Une injustice environnementale de plus dans l'Arctique.» C'est en ces termes que Mélanie Lemire réagit aux conclusions de l'étude qu'elle et ses collaborateurs viennent de publier dans Environment International et qui révèle que certains acides perfluoroalkylés (PFAA) ont connu une hausse préoccupante chez les femmes enceintes du Nunavik. «Ces contaminants industriels produits dans le Sud sont transportés sur de longues distances et se retrouvent dans la chaîne alimentaire de l'Arctique et dans les aliments traditionnels consommés par les populations inuites», explique la professeure de la Faculté de médecine et chercheuse au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval et à l'Institut de biologie intégrative et des systèmes.
Les PFAA sont une vaste famille de composés chimiques utilisés dans la fabrication de produits industriels, entre autres les traitements de protection contre l'eau ou les taches, les revêtements antiadhésifs, les emballages de nourriture, les peintures et vernis, les cosmétiques et les produits de nettoyage et de bain. Ces composés sont associés à des perturbations des fonctions hormonales, rénales, cardiométaboliques et immunitaires.
Les PFAA sont très peu biodégradables; on les appelle d'ailleurs Forever Chemicals en anglais. Ils persistent dans l'environnement et ils peuvent être transportés sur de longues distances par voie atmosphérique ou océanique. C'est ainsi qu'ils se retrouvent dans la chaîne alimentaire de l'Arctique et qu'ils s'accumulent dans les tissus des organismes vivants à mesure que l'on progresse vers le sommet de la pyramide alimentaire. Les PFAA font l'objet d'une réglementation en Amérique du Nord. Toutefois, certains PFAA se retrouvent encore dans des biens de consommation importés au Canada. De plus, d'autres composés similaires, entre autres les FTOH (alcools fluorotélomériques), sont encore utilisés et se dégradent en PFAA.
L'équipe de recherche composée de chercheurs de l'Université Laval, de l'Université de Toronto et d'organismes du Nunavik a mesuré l'évolution de la concentration de différents PFAA dans le sang de 279 femmes inuites enceintes entre 2004 et 2017. Les analyses ont montré qu'il y avait eu une diminution de la concentration des PFAA faisant l'objet d'une réglementation. Par contre, les concentrations des PFAA à longue chaîne, probablement issus de la dégradation des FTOH, ont connu des hausses dépassant parfois 20%.
Les analyses ont aussi montré qu'en 2016-2017, la concentration de PFAA chez les femmes inuites enceintes était deux fois plus élevée que celle mesurée dans un échantillon représentatif de Canadiennes du même groupe d'âge. Le recoupement avec le régime alimentaire a permis de mettre en évidence une association entre la concentration sanguine de PFAA et la consommation d'aliments traditionnels.
«Les aliments traditionnels procurent des bienfaits nutritionnels et culturels essentiels pour que la grossesse se déroule bien et pour que les nouveau-nés soient en santé. Nous allons continuer de travailler avec nos collègues de l'Arctique pour demander aux autorités canadiennes et internationales de resserrer la réglementation encadrant les PFAA et les FTOH afin que les populations inuites puissent consommer les aliments traditionnels de façon sécuritaire», conclut Mélanie Lemire.
L'étude parue dans Environment International est signée par Élyse Caron-Beaudoin, maintenant professeure à l'Université de Toronto, Pierre Ayotte, Caty Blanchette, Gina Muckle et Mélanie Lemire, de l'Université Laval, Ellen Avard, du Centre de recherche du Nunavik de la Société Makivik, et de Sylvie Ricard, de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik.