La mort subite d'origine cardiaque chez des sportifs est un événement tragique qui choque les esprits, encore plus lorsqu'il s'agit de jeunes athlètes. «C'est un phénomène relativement rare, précise toutefois Paul Poirier. Pour les marathons populaires, on parle d'environ un cas par 100 000 participants. Chez les autres athlètes, ce taux va d'un sur 3 000 à un sur 1 million, selon l'ethnicité, le sexe et le sport.» Les causes de ce type de décès varient avec l'âge. «Chez les plus de 35 ans, c'est très fréquemment lié à l'athérosclérose, souligne le cardiologue. Chez les plus jeunes, les autopsies révèlent souvent des problèmes congénitaux ou des anomalies cardiaques qui étaient passés inaperçus jusque-là. Le décès est malheureusement la première manifestation du problème.»
Les cardiologues européens et américains s'entendent sur un point: il faut continuer de dépister les problèmes cardiaques potentiels par des questions sur l'histoire personnelle et familiale de l'athlète au moment de l'examen médical. «Ce type de dépistage n'a pas une très bonne sensibilité, prévient toutefois le professeur Poirier. Une étude portant sur 115 athlètes décédés de mort subite a révélé que 114 d'entre eux avaient été soumis à ce type de dépistage sans éveiller le moindre soupçon sur leur état. D'autre part, sur la base des réponses au questionnaire, on estime que 25% des répondants devraient subir des tests cardiovasculaires. Aux États-Unis, ça représente 2,5 millions de personnes, ce qui est énorme considérant la très faible incidence de la mort subite.»
C'est ce qui a conduit les cardiologues européens à proposer l'ECG préparticipation pour les athlètes. «Plusieurs études ont montré que l'ECG est supérieur au questionnaire pour détecter les athlètes ayant des problèmes cardiaques potentiels, rappelle Paul Poirier. Une étude italienne a même rapporté que le recours à l'ECG avait réduit de neuf fois l'incidence de mort subite.» Cette approche comporte elle aussi son lot de faiblesses, notamment un taux élevé de faux positifs. «Les coeurs très entraînés produisent des ECG qui présentent des similitudes avec certaines maladies cardiaques. Dans plus de 20% des cas, l'ECG est ambigu et il faut que l'athlète subisse d'autres tests, coûteux et la plupart du temps inutiles.»
Exiger un ECG préparticipation constituerait un défi logistique important pour le système de santé canadien, estime le professeur Poirier. «Si on considère uniquement les jeunes qui pratiquent le hockey et les athlètes universitaires et collégiaux, on parle de 750 000 personnes à tester. Chaque année, 150 000 recrues entrent dans le réseau. De plus, par souci d'équité, il faudrait aussi se préoccuper des jeunes encore plus nombreux qui pratiquent des activités physiques exigeantes dans un cadre autre que le sport organisé. Tout ça représenterait beaucoup de travail pour les quelque 1 400 cardiologues canadiens, surtout si on tient compte qu'ils ne sont pas tous en mesure d'interpréter correctement un ECG d'athlète. Il faudrait aussi se demander s'il s'agit d'un bon investissement pour prévenir la mortalité chez les jeunes considérant la très faible incidence de la mort subite. Les cardiologues américains ont jugé que c'était inefficace et trop coûteux.»
Et que devrait faire le Canada? «Considérant les coûts de ce test et les résultats qu'on peut en espérer, on peut difficilement envisager un ECG préparticipation obligatoire pour tous les jeunes athlètes canadiens, répond le professeur Poirier. Par contre, ce test devrait être recommandé à tous les athlètes d'élite et à tous les membres d'équipes sportives collégiales ou universitaires. Par ailleurs, il faut mieux connaître les maladies auxquelles sont attribuables ces décès au Canada afin de cerner les populations à risque. Pour ce qui est du citoyen moyen qui décide de courir un marathon ou de grimper le Kilimandjaro, il devrait consulter son médecin avant de lancer dans une telle aventure et voir avec lui si un ECG s'impose.»
L'article paru dans le Canadian Journal of Cardiology est également signé par Sanjay Sharma, de l'Université de Londres, et par Andrew Pipe, de l'Université d'Ottawa.