L'équipe du professeur Yves De Koninck, de la Faculté de médecine et du Centre de recherche CERVO, avait déjà ciblé la protéine KCC2 comme rouage clé du mécanisme conduisant à l'hypersensibilité à la douleur. Une nouvelle étude publiée la semaine dans la revue Nature Communications confirme cette piste et renforce l'idée que cette protéine pourrait être une cible de choix pour créer une nouvelle classe d'analgésiques destinés au traitement de ce problème devant lequel la médecine est souvent impuissante.
Le transporteur KCC2 est une protéine qui contrôle l'équilibre des ions entre l'intérieur et l'extérieur des neurones. Lorsque cette pompe ne fonctionne pas correctement, les ions chlorures s'accumulent dans les neurones, ce qui les rend plus facilement excitables. «La KCC2, intervient dans le système de portillon qui détermine si un signal douloureux en provenance des nerfs sensoriels est relayé ou non au cerveau par les neurones de la moelle épinière, précise le professeur De Koninck. Son rôle consiste à inhiber la transmission du signal douloureux. Sans cette protéine, le portillon ne fonctionne plus et les signaux douloureux sont constamment relayés au cerveau.»
Son équipe a déjà montré que le manque de KCC2 expliquait pourquoi l'efficacité de la morphine contre les douleurs neuropathiques diminue avec le temps et pourquoi son utilisation prolongée peut même accroître la sensibilité à la douleur. Dans leur dernier article, les chercheurs montrent que la KCC2 intervient également dans un autre phénomène paradoxal associé à une autre classe de médicaments, les benzodiazépines.
Ces produits – dont le Valium et l'Ativan font partie – comptent parmi les plus prescrits dans le monde pour traiter l'anxiété, l'insomnie, l'agitation psychomotrice, les spasmes et l'épilepsie. «L'administration d'une dose massive de benzodiazépines est le traitement recommandé lorsqu'une personne fait une crise d'épilepsie majeure, souligne le professeur De Koninck. Paradoxalement, ces médicaments peuvent causer de graves problèmes s'ils sont utilisés chez les nouveau-nés qui souffrent de cette maladie. Ils peuvent même augmenter le risque de crises d'épilepsie.»
Pour tenter d'élucider ce paradoxe, les chercheurs ont examiné ce qui se produisait lorsqu'un analogue de benzodiazépine était administré à des souris après une atteinte d'un nerf sensoriel. Résultat? «À fortes doses, cette molécule ne parvient pas à induire une analgésie parce que l'expulsion des ions chlorures vers l'extérieur de la cellule ne se fait pas correctement par la KCC2, explique le chercheur. En injectant aux souris un produit qui augmente l'activité de ce transporteur, nous restaurons son effet analgésique.»
La recherche de molécules pouvant augmenter l'activité de la KCC2 se poursuit. «Nous avons en main une nouvelle famille de molécules que nous avons brevetée contre l'hypersensibilité à la douleur et nous espérons trouver du financement pour les tester. Nos travaux suggèrent que le bon fonctionnement de ce transporteur dans le maintien de l'homéostasie des ions chlorures déborde la question des douleurs chroniques. Son dérèglement pourrait aussi être en cause dans le stress chronique, l'anxiété, l'épilepsie, l'autisme, la schizophrénie, les spasmes associés à des lésions médullaires et certaines maladies neurodégénératives.»
Les autres signataires de l'étude sont, à l’Université Laval, Louis-Étienne Lorenzo, Antoine Godin, Francesco Ferrini, Karine Bachand, Isabel Plasencia-Fernandez, Simon Labrecque, Alexandre Girard, Dominic Boudreau, Martin Gagnon et Nicolas Doyon, et à l'Université McGill, Irenej Kianicka et Alfredo Ribeiro-da-Silva.