3 mai 2021
Être femme et chercheuse
Janice Bailey, directrice scientifique du FRQNT, et France Légaré, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la décision partagée et l’application des connaissances, sont au cœur du livre Têtes chercheuses, de Florence Meney, qui dresse le portrait de 20 scientifiques québécoises
Toutes deux grandement passionnées par la recherche et la science, elles ont des parcours fort différents. Toutefois, ce point commun les rassemble: aucune d’entre elles n’avait prédit que la recherche serait un jour au cœur de leur vie. Et pourtant.
Servir de modèle aux perles cachées
Janice Bailey a grandi dans la ville manitobaine de Brandon. Son père travaillait comme scientifique pour Agriculture Canada et se consacrait à la chimie des sols. Ce n’était pas tant ce domaine, mais plutôt le fait de suivre son père au centre de recherche qui l’animait. Vaillante, elle est rapidement et grandement attirée par les études. Les domaines de la zoologie, des sciences de l’agriculture, puis de la reproduction animale marqueront son parcours universitaire.
Aujourd’hui, Janice Bailey – dont les recherches portent sur l'influence de l'environnement, notamment sur l'exposition aux substances toxiques et la nutrition et sur la capacité et les fonctions reproductives sur différentes générations – est devenue, en quelque sorte, un phare dans la recherche québécoise. Directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies (FRQNT), membre associée au Centre de recherche en reproduction, développement et santé intergénérationnelle de l’Université Laval et ancienne professeure à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation, elle demeure pour plusieurs de ses anciennes étudiantes – qui lui écrivent d'ailleurs encore parfois pour des conseils ou de l’encadrement – un véritable modèle de leadership féminin qui a su percer tant dans les domaines de la science, de la recherche et de l’enseignement que dans celui de la gestion.
Tout comme Janice Bailey, France Légaré, professeure au Département de médecine familiale et de médecine d'urgence de l'Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la décision partagée et l’application des connaissances, fait partie du livre Têtes chercheuses de l’autrice Florence Meney, qui dresse le portrait de 20 scientifiques québécoises aux parcours à la fois incroyables et parfois insoupçonnés.
«Je trouve cela à la fois flatteur et formidable, mais aussi un peu gênant d'avoir été retenue, dit en souriant Janice Bailey. C’est vrai que nous, les femmes, nous avons encore trop souvent, dans le domaine de la recherche et possiblement aussi ailleurs, le syndrome de l’imposteur. À cela s'ajoute aussi certainement le fait que dans les médias, dans le domaine scientifique ou encore dans la société en général, le réflexe soit encore souvent de désigner un homme plutôt qu'une femme comme porte-parole pour se prononcer dans un domaine recherche. Or, les femmes chercheuses sont si nombreuses et issues de domaines divers, comme en témoigne l’ouvrage de Florence Meney.»
Ayant exercé pendant plusieurs années la fonction de journaliste avant de se reconvertir en relations médias dans les domaines de la santé et de la science – elle a entre autres travaillé pour plusieurs centres de recherche, tels l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, le Centre de recherche de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et maintenant le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine –, l'autrice Florence Meney confirme avoir constaté maintes fois ce syndrome de l'imposteur chez des chercheuses.
«Au cours des années et au fil des magnifiques rencontres que j’ai eues avec de nombreux chercheurs, j’ai effectivement réalisé que les femmes n’assument pas, très souvent, leur grande compétence et se mettent en retrait pour laisser la place à des collègues masculins. Par ce livre, j’ai donc voulu faire connaître cette riche expertise féminine dans différents domaines et trop souvent méconnue. Aussi, je souhaitais faire connaître et faire aimer la personne, car pour moi, la compréhension des autres passe toujours par l’affection, par un lien personnalisé.»
Pour Janice Bailey, occuper un poste de haut niveau doit aussi servir à faire avancer de grandes causes, telle la place des femmes dans des domaines considérés moins traditionnels, mais aussi tout ce qui concerne les aspects d'équité, de diversité et d’inclusion (EDI).
«Lorsqu’on se retrouve dans une certaine situation de pouvoir, on doit faire l’effort d’innover et de changer, au besoin, les cultures. On peut aussi devenir des modèles ou des mentors pour la relève féminine ou les minorités, en les encourageant, par exemple, à s’impliquer davantage dans différents projets et causes, et à s’assumer comme leader. D'ailleurs à ce sujet, je crois que nous devrions vraiment revoir nos définitions d’excellence scientifique dans les demandes de subventions qui nous sont adressées. Des critères, liés davantage à la personnalité et à l'implication, devraient être tout autant considérés. Par exemple, au FRQNT, tous nos programmes de demandes de subvention ont été ajustés et comprennent maintenant des critères spécifiques à l'EDI. Enfin, de par le poste que j'occupe, j'estime avoir un rôle et un devoir d’ambassadrice de la relève, en référant de jeunes talents scientifiques ou ces perles cachées, comme je les appelle.»
Marquer sa place dans la société
Contrairement à Janice Bailey, rien ne prédestinait, au départ, France Légaré à travailler dans le domaine scientifique, elle qui a d’abord fait des études en architecture. C'est plutôt un contexte de crise économique qui l'a incitée à retourner aux études et à tenter sa chance en médecine.
Aucun membre de sa famille n’était issu du milieu scientifique. Toutefois, les études demeuraient une valeur très importante, et ce, en grande partie grâce à sa grand-mère maternelle Valéda. Mariée à 15 ans, celle qui aurait aimé aller à l’école a mis au monde 15 enfants. Or, pour elle, il n’était pas question que ses enfants reproduisent ce modèle. Alors que sa fille, Estelle, alors âgée de 14 ans, étudie chez les sœurs, Valéda Maltais reçoit une facture par la poste pour payer une robe de novice à sa fille et ainsi confirmer sa vocation. Sa réponse sera sans équivoque: elle refuse de payer cette facture, puisque sa fille est trop jeune pour faire un choix aussi important et éclairé sur son propre avenir. Elle le fera d'elle-même, mais seulement une fois ses études terminées et une fois majeure. Estelle, qui deviendra finalement infirmière, transmettra par la suite à ses quatre enfants – France, Esther, Ann et Yves – l’importance de réaliser des études et de prendre sa place dans la société, qu'on soit homme ou femme.
«L’importance d’étudier, de choisir et de tracer soi-même sa propre voie vient de ma grand-mère Valéda, qui était alors parmi toutes ces femmes québécoises qui souhaitaient changer l'avenir de leur descendance au sortir de la Seconde Guerre mondiale, affirme France Légaré. Je lui dois beaucoup. Avec du recul, je réalise que je transmets en quelque sorte cet héritage à mes étudiantes et mes étudiants, voire plus globalement en matière d'équité, de diversité et d’inclusion. Mais il demeure beaucoup de travail à faire encore en ce sens dans la culture de la recherche, en général.»
France Légaré a toujours eu à cœur l’avancement de la place des femmes dans la société, mais a toujours aussi conservé cette grande soif d'apprendre. Celle-ci, qui a d'ailleurs plusieurs cordes impressionnantes à son arc – médecin de famille, professeure au Département de médecine familiale et de médecine d'urgence, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la décision partagée et l'application des connaissances, chercheuse au Centre de recherche en santé durable Vitam et lauréate de la prestigieuse médaille de service de l'Association médicale canadienne en 2020 –, vient tout juste d’entamer, par simple intérêt personnel, un certificat en philosophie.
Celle qui est considérée comme une véritable pionnière dans l'intégration de la participation et de la responsabilisation des patients dans le processus médical se dit depuis toujours aussi inspirée par cette figure marquante: l’historienne Micheline Dumont. Décorée de l’Ordre national du Québec et du Prix du Gouverneur général, sa multitude d’écrits et de conférences a conféré de la visibilité aux femmes dans leurs droits et dans leurs rapports avec la société.
«Micheline Dumont nous a clairement démontré à quel point les femmes ont laissé très peu de traces écrites sur elles dans l’histoire et, justement, à quel point il est important d’écrire davantage sur les femmes et sur leur histoire.»
Diversifier les points de vue
Même si l’autrice Florence Meney admet avoir eu l’embarras du choix pour déterminer les 20 chercheuses québécoises qui allaient figurer dans son livre, elle demeure d’avis que la diversité de l’expertise des femmes en recherche pourrait s’avérer nettement plus grande.
«Il y a malheureusement encore beaucoup trop d’obstacles qui font en sorte que des femmes, mais aussi des gens issus des minorités, des immigrants ou des peuples autochtones, etc., ont plus de mal à s’imposer, à émerger en recherche, et ce, pour toutes sortes de raisons. Pourtant, la recherche sera d’autant plus riche lorsqu’elle reflètera davantage de points de vue différents.»
Plus d’information:
Têtes chercheuses – La science québécoise au féminin, Florence Meney, Les Éditions de l’Homme
L’équité, la diversité et l’inclusion à l’Université Laval