Des chercheurs de l'Université Laval ont déterminé où se trouvent les lacs du Nord québécois qui réagiront le plus promptement aux changements climatiques. Leurs travaux, qui viennent de paraître dans la revue Global Change Biology, suggèrent que la communauté scientifique aurait intérêt à concentrer ses efforts vers ces lacs pour bien documenter les manifestations actuelles et futures des changements planétaires sur ces milieux.
Émilie Saulnier-Talbot, Dermot Antoniades et Reinhard Pienitz, du Département de géographie et du Centre d'études nordiques, arrivent à cette conclusion après avoir étudié la diversité et l'abondance des espèces de diatomées et de chironomidés dans 121 lacs du Nord québécois et du Labrador. Les diatomées sont des algues unicellulaires à la base de la chaîne alimentaire lacustre. Quant aux chironomidés, il s'agit d'insectes qui sont très abondants dans le Nord et dont les larves vivent dans les sédiments.
Les deux groupes sont de bons indicateurs biologiques des conditions environnementales ambiantes. Ils ont aussi la particularité de laisser des traces de leur existence dans les fonds lacustres. «Les diatomées possèdent une enveloppe de silice qui ne se dégrade pas et dont le motif est caractéristique de l'espèce, signale Émilie Saulnier-Talbot. C'est la même chose pour la capsule céphalique des larves de chironomidés qui est faite de chitine. En étudiant ces restes biologiques à différentes profondeurs dans les sédiments, on peut caractériser les assemblages d'espèces qui y vivaient à différentes époques.»
Pour les besoins de leur étude, les chercheurs ont utilisé des échantillons prélevés dans des lacs du Labrador en 1979 et dans des lacs du Québec en 1995. Ils ont limité leurs analyses à la couche superficielle des sédiments, ce qui donne un portrait de la situation pendant les quelques années (entre deux et et cinq) qui ont précédé l'échantillonnage. Ces lacs sont situés le long de transects sud-nord couvrant 700 km au Labrador et 1100 km au Québec.
«Dans les milieux lacustres situés à ces latitudes, les changements climatiques ont commencé à manifester leurs effets au début des années 2000, explique Émilie Saulnier-Talbot. Nous voulions avoir un portrait de la situation avant que les changements climatiques n'entrent en jeu. Et nous voulions voir comment les assemblages d'espèces changeaient à mesure que l'on progressait vers le nord.»
Un nord plus vert, des lacs plus bruns
Leurs analyses montrent qu'il existe deux zones géographiques, l'une au 52e degré et l'autre au 55e, où des changements marqués surviennent sur des distances relativement courtes. «Ces lacs sont situés dans des zones où les assemblages d'espèces basculent rapidement», résume Émilie Saulnier-Talbot. Elles correspondent aux zones de transition que l'on observe dans la végétation terrestre. La première est située à l'interface de la pessière à mousse et de la pessière à lichen. La seconde se trouve à l'interface de la pessière à lichen et de la toundra forestière.
Comme la végétation terrestre de ces régions est touchée par les changements climatiques, il devrait y avoir des répercussions particulièrement rapides dans les lacs hypersensibles de ces deux zones. «On peut notamment s'attendre à ce que le verdissement du nord entraîne davantage de carbone organique dissout vers les lacs, ce qui provoqua le brunissement de leurs eaux», souligne la chercheuse.
La communauté scientifique sait maintenant où il faut poser le doigt pour prendre le pouls des lacs nordiques et elle dispose de points de référence préchangements climatiques pour établir des comparaisons. «Nous espérons maintenant pouvoir prélever de nouveaux échantillons dans certains de ces lacs afin de déterminer comment les choses ont évolué au cours des dernières décennies», conclut Émilie Saulnier-Talbot.