
Un article impartial sur un sujet comme l'accouchement à la maison conduit à des positions équilibrées chez les lecteurs. Par contre, l'orientation des commentaires qui suivent l'article peut faire basculer l'opinion des lecteurs d'un côté ou de l'autre.
Pour les besoins de leur étude, la professeure Witteman et ses collaborateurs ont demandé à 1 692 participants de lire attentivement un article consacré à l'accouchement à la maison. Cet article avait été rédigé par les chercheurs à partir de textes réels parus dans le New York Times Magazine, TIME Health, USA Today, CNN Health, The Atlantic et The Daily Beast. «Nous avons repris des paragraphes de chaque source, incluant des citations de personnes et de professionnels de la santé en faveur ou contre l'accouchement à la maison, explique la professeure Witteman. Le résultat était un texte équilibré et impartial sur le sujet.»
Ce texte était suivi de dix commentaires tirés des mêmes médias. Pour reproduire la polarisation d'opinion souvent observée dans les médias sociaux, les chercheurs ont toutefois truqué les commentaires présentés aux participants. Ainsi, un premier groupe a eu droit à des commentaires unanimement en faveur de l'accouchement à la maison, alors qu'un deuxième groupe n'a lu que des commentaires négatifs par rapport à cette option. Pour évaluer l'effet des commentaires contenant des témoignages personnels, les chercheurs ont ajouté une deuxième composante aux tests en formant des jeux de commentaires qui contenaient tous des histoires vécues sur l'accouchement à la maison ou qui n'en contenaient aucune. Enfin, un autre groupe de participants a eu droit à des commentaires équilibrés et un dernier groupe a lu l'article sans commentaire.
Après avoir terminé leur lecture, les participants étaient invités à exprimer leur opinion sur l'accouchement à la maison sur une échelle de 0, extrêmement négative, à 100, extrêmement positive. Résultats? Même s'ils avaient tous lu le même article, les répondants avaient une opinion teintée par la couleur des commentaires auxquels ils avaient été exposés. Ainsi, les participants du groupe «commentaires équilibrés» et ceux du groupe «sans commentaire» ont enregistré un score moyen de 52. Par contre, le score moyen du groupe «commentaires négatifs» était de 39, alors qu'il atteignait 63 pour le groupe «commentaires positifs». La présence de témoignages personnels accentue l'écart entre les deux options.
Il ne faut pas conclure pour autant qu'on devrait absolument supprimer la section «Commentaires» ou y interdire les témoignages personnels, prévient Holly Witteman. «Même si la qualité du contenu est parfois discutable, il s'agit d'un outil qui permet aux gens de diffuser et de trouver de l'information sur des sujets en lien avec leur santé. Cette prise en main est positive. De plus, le partage d'information peut s'avérer particulièrement utile lorsque le sujet discuté ne fait pas consensus dans la communauté scientifique ou que le choix relève de valeurs ou de préférences personnelles. Ces forums répondent aussi à un besoin de soutien social pour les personnes aux prises avec un problème et ils permettent d'échanger sur les façons d'y faire face avec des gens qui sont dans la même situation.»
Ce que l'étude révèle surtout, c'est le danger de la polarisation des opinions. «Les organisations qui diffusent de l'information sur la santé et celles qui songent à le faire doivent s'assurer, à la lumière des données probantes, qu'il y une représentation adéquate des divers points de vue pertinents afin de permettre aux lecteurs de se faire une opinion, estime la professeure Witteman. Parfois, on peut même permettre l'expression d'idées marginales, quitte à les faire suivre d'un commentaire respectueux qui rétablit les faits. Si on restreint trop les conversations, elles se feront ailleurs, dans des sites où les opinions sont polarisées et où aucune validation de l'information n'est faite. Le budget de fonctionnement d'un site de nouvelles en santé devrait donc prévoir, en plus des dépenses informatiques, une enveloppe pour un gestionnaire de communauté et pour les professionnels de la santé, qui apporteront des nuances aux idées exprimées et qui répondront aux questions soulevées par les lecteurs.»
L'article paru dans Health Affairs est signé par Holly Witteman et Marie-Ève Trottier, de la Faculté de médecine et du CHU de Québec-Université Laval, Angela Fagerlin, de l'Université de l'Utah et par Nicole Exe et Brian J. Zikmund-Fisher, de l'Université du Michigan.