Pond Inlet et Qikiqtarjuaq. Ces deux villages inuits de quelques centaines d’habitants chacun sont situés respectivement dans le nord et le sud de l’île de Baffin, dans le Haut-Arctique. De par ses dimensions, cette île de plus de 500 000 kilomètres carrés représente un macrocosme de plusieurs enjeux scientifiques clés relatifs aux changements climatiques dans les écosystèmes arctiques canadiens. Or, il se fait peu de recherche sur cette île, à peine quelques mois par an, en raison de la difficulté d’accès aux villages, de l’extrême rigueur des hivers et d’infrastructures limitées. Afin d’assurer une présence constante de scientifiques sur le terrain, deux stations de recherche nordique, bien équipées et fonctionnelles 12 mois par année, seront aménagées à Pond Inlet et Qikiqtarjuaq au coût de 17,5M$.
Ces stations de recherche font partie des quatre projets financés récemment par la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI). Leur financement se subdivise principalement en 7,0M$ par la FCI et 7,0M$ par le gouvernement du Québec. L’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) fournissent chacune plus de 530 000$ au projet.
Trente chercheurs, la moitié rattachée à l’Université Laval, travailleront sur l’île de Baffin. Ensemble, ces biologistes, océanographes, limnologistes, géographes, géologues et spécialistes de la santé humaine dans les communautés nordiques combleront un vide scientifique dans l’est du Canada arctique.
Les chercheurs porteront une attention particulière à l’hiver et au début du printemps. Dans la toundra, les événements climatiques survenant durant cette période de l’année sont vitaux dans le cycle de vie de nombreux organismes, des microbes dans le sol aux petits mammifères vivant sous la neige. Dans l’océan, la production primaire des micro-organismes et l’éclosion des algues dépendent fortement des processus biogéochimiques se produisant sous la glace.
Le professeur Gilles Gauthier, du Département de biologie, est le directeur scientifique du Centre d’études nordiques de l’Université Laval (CEN). Depuis une trentaine d’années, il mène des recherches à Pond Inlet. Les deux futures stations seront intégrées au réseau du CEN, lequel s’étend sur le Nunavik et une partie du Nunavut. Le professeur Gauthier et son collègue Marcel Babin, responsable de la Chaire d’excellence en recherche du Canada en télédétection de la nouvelle frontière arctique canadienne, ont élaboré le projet multidisciplinaire des stations de recherche nordique.
Des écosystèmes terrestres aux écosystèmes marins
«À Pond Inlet, explique-t-il, la nouvelle plateforme de recherche permettra notamment de traiter des échantillons récoltés sur le terrain qui, au besoin, seront transférés dans un laboratoire au Sud pour des analyses plus poussées. Pour des analyses génétiques et autres, les chercheurs auront accès à des congélateurs à très basse température. Parmi les recherches possibles, nous ferons des analyses de la qualité de l’eau potable consommée par les résidents de Pond Inlet pour vérifier les traces de contamination chimique ou bactériologique. Nous avons aussi des préoccupations concernant des contaminants possibles dans la viande consommée par la population. Il sera possible d’analyser des échantillons de gibier en laboratoire. De plus, des appareils plus sophistiqués permettront de faire un meilleur suivi de la température du sol, dans le contexte du dégel du pergélisol.»
Marcel Babin dirige l’Unité mixte internationale Takuvik, un regroupement de chercheurs de l’Université Laval et du Centre national de la recherche scientifique. Depuis 2015, son équipe, à raison de trois à quatre mois par an, mène des recherches à Qikiqtarjuaq. Dans cette région, on observe la disparition graduelle de la glace de mer, un phénomène qui a des répercussions importantes sur la biogéochimie marine et la biodiversité marine.
Selon lui, l’emplacement de la station près de la côte sera à la fois stratégique et exceptionnel. «La particularité de la future station de recherche est qu’elle sera la seule au monde à étudier les processus océanographiques de l’océan profond à partir de la terre ferme, dit-il. Le village est situé au pied des montagnes, lesquelles se prolongent dans l’océan. On atteint très rapidement une profondeur de 400 mètres. La station sera aussi la première du Haut-Arctique consacrée à l’océanographie. Sa situation géographique fait en sorte qu’une partie de l’eau qui circule en Arctique se déverse à cet endroit. Ce sera l’endroit idéal pour faire le suivi des changements touchant notamment les poissons, les petits animaux, les micro-algues, les microbes. Nous couvrirons tous les niveaux de la chaîne alimentaire et leurs changements dans le temps.»
Les deux stations auront pour objectif commun de déterminer l’état à venir des écosystèmes terrestres et marins de la région de l’île de Baffin alors que s’accélèrent les changements environnementaux. Les chercheurs étudieront la manière dont s’adapteront les écosystèmes polaires aux changements climatiques à venir, les changement qui se produiront dans les réseaux alimentaires et la façon dont ces changements auront une influence sur les communautés. Dans cette vaste démarche scientifique, les communautés inuites joueront un rôle de premier plan.
«Les deux infrastructures, souligne Gilles Gauthier, seront gérées par le CEN et par Québec Océan. Ces deux regroupements réunissent plusieurs chercheurs de l’Université Laval, de l’UQAR et de l’UQTR, en partenariat avec les communautés inuites locales et leurs représentants régionaux. Des représentants inuits siégeront au comité de gestion de chacune des stations. Ils s’assureront que les activités de recherche répondent à leurs besoins. Ce partenariat étroit est la nouvelle façon de faire de la recherche nordique. Cette philosophie, nous l’avons mise de l’avant en montant notre projet.»
Pour sa part, Marcel Babin rappelle que la communauté inuite canadienne s’est dotée d’une stratégie de développement de la recherche. «Les Inuits, soutient-il, expriment l’intention de devenir davantage des leaders et des acteurs que des contributeurs en recherche arctique. En ce sens, notre projet va servir d’exemple, de modèle. Nous avons signé un accord historique avec la Qikiqtani Inuit Association (QIA), lequel prévoit la cession à la QIA des stations de recherche après quinze ans d’utilisation.»
Lisez l'article présentant les quatre projets d'infrastructures majeures dirigés par des équipes de l'Université Laval qui viennent de recevoir un financement de la FCI, du gouvernement du Québec et de partenaires.