Imaginez le scénario suivant. Vous prenez un médicament et, parce que vous répondez peu au traitement, votre médecin prescrit un test génomique pour déterminer l'origine de cette résistance. Les analyses révèlent de façon fortuite que vous avez une prédisposition génétique à l'hypercholestérolémie, une maladie lipidique sans lien avec votre problème de santé, qui peut être traitée par une médication appropriée. Aimeriez-vous le savoir? Et si les tests révélaient que vous avez des gènes de susceptibilité à l'alzheimer, une maladie pour laquelle il n'existe pas de traitement, souhaiteriez-vous en être informés?
Si vous avez répondu oui aux deux questions, votre position concorde avec celle de la plupart des personnes qui ont participé à une étude exploratoire menée sur la question par des chercheurs du Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval et par leurs collègues montréalais. Les détails de leurs travaux viennent de paraître dans une prépublication de la revue BMC Medical Genomics.
Les chercheurs ont fait appel à 29 personnes traitées pour un cancer et à 32 personnes bien portantes pour recueillir leur opinion sur la divulgation des résultats fortuits produits par des tests génomiques. «Grâce aux nouvelles technologies, il est maintenant possible de séquencer rapidement et économiquement une bonne partie du génome d'une personne», souligne le responsable de l'étude, Hermann Nabi, professeur à la Faculté de médecine et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval. «On obtient ainsi réponse aux questions pour lesquelles les tests génomiques ont été prescrits, mais on peut aussi découvrir fortuitement des gènes qui prédisposent à certaines maladies. Que doit-on faire de ces informations?»
Pour tâter le pouls de la population sur la question, les chercheurs ont divisé les participants en huit groupes et ils les ont invités à des séances de discussion pour recueillir leurs commentaires au sujet des situations suivantes. Un test visant à déterminer l'origine de la résistance à un traitement chez une personne atteinte du cancer du côlon révèle qu'elle a des gènes de susceptibilité à des maladies qui peuvent être traitées – l'hypercholestérolémie ou la maladie de Wilson – ou à des maladies pour lesquelles il n'existe pas encore de traitement – la fibrose kystique ou l'alzheimer. Que faire des résultats?
La plupart des participants estiment qu'il appartient au patient de décider s'il veut connaître ou non cette information, surtout si elle concerne un problème de santé grave. Le patient devrait pouvoir préciser son choix avant le test et on devrait lui donner la chance de répondre différemment en fonction du caractère traitable ou non traitable de la maladie. C'est le médecin qui a prescrit le test qui devrait annoncer en personne les résultats au patient.
Les répondants qui veulent connaître ces découvertes fortuites estiment qu'elles leur permettront de faire des choix plus éclairés sur leur santé, leur vie, leur carrière et, s'il y a lieu, sur leur décision d'avoir ou non des enfants. Ceux qui préfèrent ne pas savoir redoutent les impacts psychologiques, pour eux ou pour leurs proches, qui découleraient de ces révélations, surtout si aucun traitement n'existe. De plus, ils craignent les répercussions de la divulgation de ces informations sur leur vie personnelle et professionnelle, notamment sur leur assurabilité et sur leur employabilité.
En France, lorsque les résultats de tests génétiques concernent une maladie grave, il y a obligation légale d'en aviser les membres de la famille, même si le patient n'est pas d'accord, rappelle Hermann Nabi. «Les participants à l'étude penchaient nettement vers l'autonomie et le contrôle de l'information génétique par le patient. Ils veulent décider ce qui sera fait de cette information et à qui elle sera communiquée.»
Dans les faits, ces tests génétiques sont encore peu présents dans la pratique médicale au Québec, mais ils font progressivement leur chemin, signale le professeur Nabi. «Nos résultats montrent que chaque patient aura ses besoins et ses exigences. Il faudra donc prévoir des ressources suffisantes pour informer correctement les gens au sujet des tests génétiques et pour communiquer les résultats selon leurs attentes.»
Les auteurs de l'étude sont Jude Emmanuel Cléophat, Michel Dorval, Jocelyne Chiquette, Benjamin Malo, Vincent Fradet et Hermann Nabi, de l'Université Laval, Zaki El Haffat et Stephanie Collins, de l'Université de Montréal, et Yann Joly, de l'Université McGill.