
Principale source d'eau des citoyens de Québec, le lac Saint-Charles a subi une dégradation accélérée au cours des dernières années. Cet exemple illustre bien l'importance de tenir compte de la protection des sources d'eau potable dans le développement du territoire.
— Francis Audet / APEL
Au cours des dernières décennies, le Québec a beaucoup investi dans le traitement des eaux et peu dans la protection des sources d'eau potable. «Cette préoccupation est maintenant à l'ordre du jour et les municipalités du Québec doivent présenter une évaluation de la vulnérabilité de leurs sources d'eau d'ici 2021, rappelle Manuel Rodriguez. Ces évaluations, qui doivent identifier les menaces à la qualité de l'eau, risquent de faire ressortir des conflits d'usage du territoire entre municipalités.»
Le conflit qui oppose la ville de Québec et les municipalités de sa couronne nord en est un exemple typique, signale le chercheur. La principale source d'approvisionnement en eau de Québec est le lac Saint-Charles, dont le bassin versant recoupe le territoire des municipalités de Lac-Delage, Stoneham-et-Tewkesbury. «La protection de la source d'eau potable de Québec n'a pas été prise en considération dans le passé, la qualité de l'eau du lac se dégrade et on se retrouve aujourd'hui avec un conflit d'utilisation a posteriori. Ce genre de situation est courant au Québec. On n'a qu'à penser à Charny, le secteur de la ville de Lévis dont la source d'eau potable est la rivière Chaudière. Toutes les activités qui se déroulent en amont – soit sur toute la longueur de cette rivière – affectent la qualité de son eau. D'ailleurs, la ville de Lévis a dû fermer cette prise d'eau après l'accident ferroviaire qui a causé un déversement de pétrole dans le lac Mégantic, où la Chaudière prend sa source.»
La protection des sources d'eau potable conduit parfois à des impasses, comme on le voit dans le différend qui oppose la ville de Québec et les municipalités de sa couronne nord. Québec souhaite un moratoire sur la construction résidentielle dans le bassin versant du lac Saint-Charles, mais les municipalités visées, dont l'eau potable ne provient d'ailleurs pas de cette source, n'ont rien à y gagner. «La solution ne doit pas être un choix entre couper l'eau du robinet ou couper le développement, estime Manuel Rodriguez. Il faut harmoniser la protection des sources d'eau potable avec le développement par une gestion intégrée du territoire. Il faudrait aussi un organisme neutre, doté d'une autorité morale et sociale, pour arbitrer les conflits. Il faut développer une diplomatie de l'eau.»
Le professeur Rodriguez souligne également que certaines solutions, séduisantes à première vue, cachent des répercussions insoupçonnées. C'est le cas de l'idée de relocaliser la prise d'eau de Québec au lac Jacques-Cartier dans la réserve faunique des Laurentides, loin de tout développement urbain. «Il s'agit d'une solution qui peut être envisagée comme plan de secours, mais pas de manière permanente», estime-t-il. Outre la question des coûts qui s'élèveraient sans doute à plusieurs dizaines de millions de dollars, il faut considérer les impacts environnementaux de l'installation d'un tuyau d'amenée souterrain sur quelque 75 km, ainsi que les répercussions du prélèvement d'un important volume d'eau sur lac lui-même, les territoires qui l'entourent et les rivières qui en dépendent, soit la Jacques-Cartier et la Montmorency. «Un autre impact probable est que le lac Saint-Charles serait abandonné à son sort, croit-il. Jusqu'à preuve du contraire, la façon la plus durable de gérer la source d'eau potable de la ville de Québec est de poursuivre les efforts de protection de l'eau dans le bassin versant du lac Saint-Charles.»