Depuis un an, les organisations responsables des dons et des greffes d'organes sont confrontées à un cruel dilemme. «Quand la pandémie de COVID-19 s'est déclarée, on connaissait très peu de choses du virus et le consensus a été de ne pas utiliser les organes de donneurs potentiels, vivants ou décédés, qui avaient eu un test positif à la COVID-19. Cette décision, combinée à d'autres facteurs dont le délestage de certaines interventions chirurgicales, a entraîné une baisse globale des dons et des greffes d'organes, notamment au Québec où ces activités ont diminué de 20%. Pendant ce temps, des malades dont la vie est en jeu attendent une greffe», résume Matthew Weiss, professeur à la Faculté de médecine, chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval et directeur médical du don d'organes chez Transplant Québec.
Y aurait-il moyen d'assouplir la règle adoptée en début de pandémie pour élargir le bassin de donneurs potentiels sans pour autant mettre en péril la santé des receveurs d'organes? Pour le savoir, une équipe dont fait partie le professeur Weiss a passé en revue toutes les études réalisées jusqu'à maintenant sur le risque de transmission du SARS-CoV-2 par transplantation de cellules, de tissus et d'organes provenant des personnes qui avaient eu la COVID-19. Le fruit de leur travail vient de paraître dans la revue Transplantation.
Leurs analyses révèlent qu'il existe un faible risque de transmission de la COVID-19 par voie de transplantation. «On sait que les récepteurs des poumons auxquels se fixe le SARS-CoV-2 sont aussi présents dans d'autres organes, rappelle le professeur Weiss. On sait aussi que dans les cas graves de COVID-19, des organes autres que les poumons sont touchés. Par contre, on ignore si ces dommages sont causés directement par le virus ou s'ils sont provoqués par les médicaments, par une réponse inflammatoire ou immunitaire ou par des conditions préexistantes chez les patients.»
Au moment où les chercheurs ont effectué leur revue de littérature, sept transplantations de cellules ou d'organes prélevés sur des donneurs infectés par le SARS-CoV-2 avaient eu lieu et aucun cas de transmission au receveur n'avait été rapporté. Depuis, un décès est survenu à la suite d'une transplantation pulmonaire. «Le dépistage du virus avait été fait à partir de prélèvements provenant du nez et de la gorge du donneur. Les résultats étaient négatifs, mais le virus devait être encore présent dans ses poumons», explique le professeur Weiss.
Les personnes en attente d'une transplantation ont déjà une santé précaire et elles doivent prendre des immunosuppresseurs pour prévenir les rejets. «Elles sont donc très vulnérables aux infections et il faut prendre toutes les précautions possibles pour ne pas leur greffer des organes infectés. Il faut soupeser le risque de transmission du virus associé à la transplantation et le risque qu'un patient court si la transplantation n'a pas lieu», fait valoir Matthew Weiss.
Présentement, c'est à partir de tests de dépistage de la COVID-19 effectués sur les donneurs que la sécurité des organes est établie. Selon les auteurs de l'étude, la mise au point de méthodes cliniques servant à détecter la présence et l'infectiosité des virus présents dans des organes à greffer permettrait de réduire l'incertitude entourant le risque de transmission par transplantation, notamment chez des donneurs potentiels qui ont eu la COVID-19, mais qui en sont guéris. «Cela ferait en sorte que l'on pourrait envisager de transplanter de façon sécuritaire les organes de tous les donneurs potentiels et qu'aucun receveur ne risquerait pas de contracter la COVID-19 à la suite d'une greffe», conclut le professeur Weiss.
Les autres auteurs de l'étude parue dans Transplantation sont Amaury Gaussen, Laura Hornby, Gary Rockl, Sheila O'Brien, Gilles Delage, Ruth Sapir-Pichhadze, Steven Drews et Antoine Lewin.