La ministre de la Culture et les ministres des Affaires municipales et de l’Habitation viennent d’annoncer une série de mesures pour venir en aide aux municipalités et aux citoyens décidés à préserver les témoins immobiliers du passé québécois. François Dufaux, spécialiste du patrimoine et de l’histoire de l’architecture, remet cet investissement en contexte.
Les mesures annoncées vont-elles permettre de mieux protéger notre patrimoine?
Depuis environ deux ans, de nombreux bâtiments sont menacés, certains disparaissent. Face à ces problèmes, le ministère de la Culture a un comportement assez erratique. Parfois, il intervient; parfois, il n’agit pas. Les mesures présentées par la ministre Nathalie Roy montrent qu’elle semble décidée à intervenir. Elle va utiliser une enveloppe de 30 millions de dollars qui se trouvait déjà dans le Fonds du patrimoine. Cette somme paraît très restreinte par rapport à l’ampleur des rénovations à réaliser. À titre d’exemple, la Ville de Québec a dépensé une somme équivalente sur quelques années pour le patrimoine religieux. Pourtant, certains chantiers manquent de subventions. Le clocher de l’église Saint-Sauveur, actuellement démonté au pied de ce bâtiment, attend toujours d’être rénové… Le gouvernement annonce aussi un financement pour compléter l’inventaire des bâtiments historiques. Actuellement, les données varient beaucoup selon les municipalités et les MRC. Beaucoup se contentent de prendre des photos extérieures des bâtiments jugés intéressants, sans renseigner sur leur construction et l’état de l’édifice. Dans de nombreux cas, il n’existe pas de plan pour reconstruire les 700 bâtiments classés par le gouvernement du Québec s’ils passent au feu. Les mesures annoncées ne vont pas changer cette réalité.
Comment expliquer ce manque d’intérêt pour l’état de notre patrimoine?
Je pense qu’il s’agit d’un problème profond qu’illustre l’exemple de place Royale. Cette rénovation constitue à la fois un succès et un échec dans l’histoire de la restauration du patrimoine. La vocation de commémoration a fonctionné, puisque les touristes et les visiteurs s’y rendent pour découvrir ce lieu fondateur de Québec. Par contre, cette expérience a aussi représenté un traumatisme puisqu’il manque de résidents pour rendre le quartier vivant. Sans compter que la restauration concerne seulement les façades, car l’intérieur des maisons a été détruit. Depuis les années 1980, le ministère de la Culture met beaucoup l’accent sur la commémoration du patrimoine historique, sans pour autant l’entretenir. Ainsi, le plan de conservation du Vieux-Québec répertorie les 1400 bâtiments qu’on y retrouve. Toutefois, il ne contient pas d’information sur leur état depuis le classement comme arrondissement historique, en 1963, ni sur le calendrier des travaux à venir. À place Royale, par exemple, il faut investir pour refaire les mortiers, les toitures, changer les fenêtres. Le ministère de la Culture du Québec n’a pas encore élaboré une stratégie claire de sauvegarde du patrimoine bâti, contrairement aux gouvernements européen et américain.
Certains font valoir qu’on ne peut pas garder tous les vieux bâtiments…
Les prévisions actuelles laissent entendre que le travail des ingénieurs et des architectes des 30 prochaines années va concerner à 75% les rénovations de bâtiments existants. Si l’on veut faire preuve de développement durable, mieux vaut se concentrer sur les constructions qui existent déjà. Il faudrait donc savoir ce qu’on peut garder et transformer. Par contre, il semble difficile de conserver certains bâtiments non conçus pour durer, comme beaucoup de constructions des années 1960. Cela n’a donc rien d’étonnant que beaucoup de propriétaires choisissent de démolir des bungalows à Sillery ou à Sainte-Foy plutôt que de les rénover. À l’inverse, nous utilisons, à l’École d’architecture, des locaux d’enseignement qui servent depuis quatre siècles dans le Vieux-Séminaire de Québec. Ce bâtiment a toujours été très bien entretenu, car les institutions religieuses ont un rapport au temps différent de celui du gouvernement du Québec ou du Canada. Pourtant, l’État américain a une conscience historique, tout comme l’État français ou britannique. Il faut bien comprendre que conserver un bâtiment ancien n’oblige pas les gens qui y habitent à vivre comme il y a plusieurs siècles. La plomberie, le chauffage ou l’accès à Internet sans fil font partie des améliorations à apporter à un bâtiment ancien. Le but, c’est que le passé fasse partie du présent.