Il y a de ces pièces qui sont réputées très difficiles à jouer, voire injouables. Iberia, une suite pour piano écrite entre 1906 et 1909, fait partie du lot. Véritable chef-d'œuvre d'Isaac Albéniz, cette œuvre combine romantisme, flamenco et folklore espagnol avec un brin de musique baroque. Son exécution intégrale dure un peu plus d'une heure trente. «Seulement quelques pianistes l'ont joué au complet. La plupart l'ont fait de façon partielle. C'est une œuvre d'une difficulté extrême, même pour le compositeur. Albéniz a écrit Iberia dans les dernières années de sa vie. Clairement, il a mis le paquet!», souligne Arturo Nieto-Dorantes.
Le professeur a profité d'une année d'études et de recherche en Espagne pour créer sa propre version des douze pièces de l'œuvre. Il a été accompagné dans sa démarche par trois pianistes qui ont reçu la prestigieuse Médaille Albéniz, Gustavo Díaz-Jerez, Marta Zabaleta et Guillermo González. Il a aussi mené des entrevues avec des spécialistes de l'œuvre, en plus de donner des concerts en Espagne et en Allemagne.
Le simple fait de déchiffrer les cahiers d'Iberia a demandé un travail colossal. «Il est rare de trouver une partition aussi détaillée. L'œuvre est bourrée d'indications, ici et là. Albéniz a voulu tout laisser par écrit. Pour faire une interprétation lucide d'Iberia, qui ne tombe pas dans la caricature ou le stéréotype, ça prend beaucoup de profondeur et de recherche. J'ai fait du mieux que j'ai pu pour trouver un équilibre entre tous les aspects.»
La suite logique de ce projet était l'enregistrement d'un album. Cette étape s'est déroulée au LARC, le Laboratoire audionumérique de recherche et de création de l'Université Laval. Le pianiste, pas peu fier du résultat, décrit une collaboration fructueuse avec l'ingénieur de son Serges Samson. «Serges a fait un travail extraordinaire sur le plan du montage. Pour la sonorisation, il a trouvé la couleur parfaite. N'étant pas pianiste et ne connaissant pas forcément Albéniz, il a tout de même réussi à créer un produit d'une énorme qualité. Je ne peux que lui faire mes éloges.»
L'album, produit par Urtext Digital Classics, est disponible sur toutes les plateformes numériques, dont Apple Music et Spotify. Le lancement a aussi donné lieu à une vidéo diffusée en direct sur la chaîne YouTube de la Faculté de musique.
Une passion qui ne date pas d'hier
D'origine mexicaine, Arturo Nieto-Dorantes baigne dans la musique depuis qu'il est haut comme trois pommes. Ses parents, tous deux chanteurs d'opéra, l'ont initié à la zarzuela et à différents styles de musique. À 14 ans, il faisait ses débuts comme pianiste avec orchestre en interprétant le Concerto no 2 de Chopin.
Depuis, il a joué avec les plus grands ensembles dans le monde, de l'Orchestre philharmonique de Mexico à l'Orchestre symphonique de Québec. Diplômé des Conservatoires du Mexique et de Paris, de l'Université d'Indiana et du Centre supérieur de musique Katarina Gurska de Madrid, il a été le premier pianiste à interpréter l'ensemble de l'œuvre du compositeur Manuel María Ponce en dehors du Mexique. Il a aussi présenté l'intégrale des sonates de Mozart.
Ici comme ailleurs, ses prestations lui ont valu des prix et des critiques élogieuses. En Europe, des médias l'ont décrit comme «un maître du son orchestral pour piano» et «une tempête de feu latino-américaine».
Arturo Nieto-Dorantes enseigne à l'Université Laval depuis 2002. En plus d'être responsable de la classe de piano, il est directeur des programmes de maîtrise et de doctorat en interprétation. Ayant à cœur la réussite de ses étudiants, il voit son rôle comme celui d'un incubateur de talents. «Je partage mon expérience, je transmets mon vécu et je donne des outils aux étudiants pour qu'ils puissent voler de leurs propres ailes. Mon but n'est pas de créer des clones, mais des musiciens qui ont leur personnalité à eux. C'est, je pense, le travail principal d'un professeur de musique.»