Michel Allard, directeur par intérim du Centre d’études nordiques, étudie le pergélisol depuis 28 ans. Le chercheur constate que l’augmentation constante de la température dans le Nunavik depuis 1993 a des conséquences immédiates sur la structure du sol. Chaque année, son équipe fait le relevé des soixante puits d’observation installés dans l’ensemble des villages du territoire. Ces instruments fournissent des renseignements sur la température à différentes profondeurs 365 jours par an. Déjà, les effets du dégel se font sentir sur les pistes d’atterrissage. «Parce qu’elles sont foncées, les pistes absorbent les rayons du soleil, et le pergélisol y dégèle plus vite; le sol se gondole, se fissure, s’enfonce», précise Michel Allard. Le géographe préconise la mise en place de mesures préventives en rappelant que le gouvernement a dû dépenser plusieurs centaines de milliers de dollars en 1998 pour déplacer un quartier récent de Salluit menacé par le glissement d’une couche active de pergélisol.
Louis Fortier, professeur au Département de biologie et directeur de la Chaire de recherche du Canada sur la réponse des écosystèmes marins arctiques au réchauffement climatique. Le responsable scientifique du brise-glace de recherche NGCC Amundsen appartient à l’équipe de collaborateurs qui a aidé Dominique Forget à écrire Perdre le Nord? À plusieurs reprises, la chercheuse se réfère aux expéditions scientifiques effectuées par le réseau Articnet, le réseau d’une centaine de chercheurs canadiens que dirige le biologiste, pour relever les mouillages aménagés depuis plusieurs années dans l’océan Arctique. Dans le livre, le scientifique déplore que les dirigeants canadiens réagissent aussi lentement aux conséquences de la fonte des glaces sur le passage du Nord-Ouest, puisque cette route maritime devrait être libre de glaces d’ici 2040. Contrairement aux Russes, le Canada ne possède aucun brise-glace pouvant patrouiller dans l’archipel arctique douze mois par an, et les bateaux étrangers qui empruntent le passage du Nord-Ouest signalent leur présence de manière volontaire. «Pendant longtemps, on comptait sur la banquise pour repousser les navires. Il faut régler la question de la souveraineté pour protéger notre territoire», affirme Louis Fortier.
Frédéric Lasserre, professeur au Département de géographie, s’intéresse aussi à la circulation maritime par le passage du Nord-Ouest qui pourrait faire gagner 5 000 kilomètres sur le trajet entre la Grande-Bretagne et le Japon pour les navires qui empruntent le canal de Suez. Toutefois, cette route ne deviendra pas à courte échéance un raccourci intéressant pour les porte-conteneurs, selon lui. Naviguer dans cette zone où abondent les glaces dérivantes requiert en effet des coques renforcées, l’utilisation d’hélicoptères, de pilotes spécialisées, sans compter la mise à jour des cartes et des tables de marées. Toutes ces contraintes pourraient remettre en question le principe du juste-à-temps, primordial dans l’industrie maritime. «Les armateurs ne vendent pas que le transport, explique Frédéric Lasserre. Ils vendent aussi une date de livraison précise. S’ils ne respectent pas leur engagement, ils doivent payer une pénalité, et leur image est ternie aux yeux de leur client.»