«Daniel Boucher en direct / 4 jeudis de chez nous à chez vous.» Ce court texte à saveur promotionnelle annonçait, le 28 mai sur la page Facebook du populaire auteur-compositeur-interprète, une série de concerts offerts en direct et en ligne en pleine pandémie de coronavirus. Le texte était superposé à une photo de l’artiste chez lui, sa guitare bien en mains et visiblement prêt à donner ses prestations avec la fougue et l’énergie qu’on lui connaît.
«Cette initiative culturelle est l’une des 940 que nous avons recensées en date du 1er septembre dans le cadre de notre enquête panquébécoise sur les initiatives culturelles imaginées par la communauté artistique depuis le début de la pandémie, explique Sandria P. Bouliane, professeure de musicologie à la Faculté de musique. Ces initiatives ont impliqué 3458 individus et 475 organismes ou collectifs. Le milieu culturel a rebondi, c’est très clair. Tous les secteurs ont voulu maintenir le contact avec le public, ou sont entrés en phase de création. Avec des formes différentes, on voit que la vitalité culturelle n’a pas cessé de croître.»
La professeure Bouliane codirige le projet Recensement des initiatives culturelles au temps de la COVID-19 avec les chercheurs Hervé Guay de l’UQTR et Louis Patrick Leroux de l’Université Concordia. Ce projet a vu le jour au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises, le CRILCQ. Il bénéficie de la collaboration de l’équipe de coordination du centre et vise à faire le recensement détaillé des activités ayant germé dans le secteur culturel depuis le 13 mars. «Ce qui apparaît, poursuit-elle, est une phase de réaction immédiate du milieu artistique. Elle est venue principalement des musiciens et des auteurs. Ils étaient particulièrement décidés à rendre disponible leur créativité. On en a vu beaucoup. Après, les institutions ont suivi dans un effet boule de neige. Des musées aux maisons de disques, en passant par les bibliothèques, toutes sortes de formules ont été imaginées pour garder contact avec le public.»
Diverses stratégies d’adaptation ont ainsi été élaborées et d’ingénieuses initiatives ont été mises en œuvre pour permettre aux citoyens d’avoir accès aux arts et à la culture sans avoir à se déplacer en cette ère de confinement. Le recensement du CRILCQ se fait dans une vingtaine de champs et de disciplines. Il inclut aussi les activités scientifiques et critiques. Les domaines considérés comprennent, entre autres, les arts visuels et la musique, le théâtre et le cirque, la danse et la performance, l’humour et les baladodiffusions, les bibliothèques et la poésie, la littérature jeunesse et le cinéma. «La part du lion revient à la littérature, avec 30% des initiatives, indique Sandria P. Bouliane. Suivent les arts visuels avec 20%. Puis la musique et les activités muséales avec 16%. Le théâtre est à 12% et le cirque à 7%.»
Martha Wainwright en spectacle… sur son balcon
Du 25 mars au 10 avril, la Fabrique culturelle de Télé-Québec a présenté sur le Web, en collaboration avec le Mois de la poésie, de courtes lectures de poésie en direct. Dans le domaine musical, des artistes tels que Martha Wainwright et Alaclair Ensemble ont offert des prestations sur les réseaux sociaux, la première à partir de son balcon. D’autres ont suivi. La musique classique ne fut pas en reste. Au Grand Théâtre de Québec, l’Orchestre symphonique a présenté des classes de maître ainsi que des performances et des vignettes d’information.
«L’OSQ a réussi à maintenir le contact avec la population, souligne la professeure Bouliane. Même chose au Musée de la civilisation de Québec, qui a été particulièrement réactif. Ils ont voulu entrer en interaction avec le public. Ils ont offert plusieurs visites virtuelles de collections; ils ont créé des balados. Au Musée d’art contemporain des Laurentides, à Saint-Jérôme, on a présenté des ateliers à distance pour les enfants. Durant le mois de la photo, le Centre Phi, à Montréal, a mis la photographie à l’avant-plan dans des expositions virtuelles. Quant à la troupe de cirque FLIP Fabrique, de Québec, elle a mis en ligne la captation de quelques-uns de ses spectacles.»
Le travail de terrain sur Internet touche à sa fin. Commencera bientôt une seconde étape du projet de recherche consistant à inciter les acteurs du milieu culturel à alimenter la volumineuse banque de données construite au fil des mois. «Nous avons constitué un échantillon très parlant, affirme-t-elle. Mais il reste encore du travail à faire pour avoir une vision encore meilleure du territoire. Nos partenaires, parmi lesquels Littérature québécoise mobile, le Regroupement du conte du Québec et l’ADISQ, nous permettront d’aller encore plus loin.»
Selon la professeure, l’objectif final consistera à permettre aux chercheurs de trouver rassemblées en un seul endroit le plus grand nombre possible des stratégies d’adaptation mises au point depuis le 13 mars. Cette matière première servira à réfléchir rétrospectivement à ce que les acteurs du milieu ont dit, fait et écrit durant cette période d’isolement.
«Cet accès aux données brutes, dit-elle, permettra de voir, pendant et après la crise, la capacité d’adaptation et de renouvellement de la communauté artistique, ses forces mais aussi ses faiblesses. Diverses activités seront organisées autour du recensement. L’une d’elles sera une première journée d’études prévue en février ou mars prochain. On y présentera différents travaux de recherche sur notre base de données. Des artistes présenteront leurs ajustements à la pandémie.»
Pour accéder à la base de données du CRILCQ, écrire à recensement.crilcq@gmail.com
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