Laurent Turcot vient de faire paraître un essai sur le sujet aux éditions Gallimard, dans la collection Le Promeneur, sous le titre Le promeneur à Paris au XVIIIe siècle: construction d’une figure sociale. Selon lui, les nouveaux boulevards ont été graduellement utilisés par tout le monde, du peuple à l’aristocratie. «Le peuple, indique-t-il, va utiliser le boulevard comme une rue ordinaire, mais va également avoir la possibilité de se promener. C'est la naissance d’un espace récréatif ouvert sur la ville, accessible à tous et qui va essaimer partout. L’aristocratie et la grande bourgeoisie vont peu à peu délaisser les grands jardins royaux, ces espaces clos qui leur étaient réservés pour la promenade dite de civilité, pour les boulevards, qui constituent le lieu de promenade à la mode dans la seconde moitié du 18e siècle.»
La promenade de civilité se faisait dans des lieux magnifiquement aménagés comme le jardin des Tuileries et le Cours-la-Reine. On y pratiquait le rituel de la visibilité sociale où il était de bon ton de voir et d’être vu. L’acte déambulatoire fait à ces endroits «servait à se distinguer les uns des autres en s’appuyant sur des codes sociaux très stricts qui définissaient notamment la manière de poser le pied, la façon de regarder», souligne Laurent Turcot.
Les boulevards parisiens répondent à de nouveaux besoins, comme la quête de soi, la découverte personnelle de la ville, la liberté de mouvement, la recherche du différent. De nouvelles utilités, associées à la promenade, apparaissent, comme le divertissement et l’exercice physique qui favorise la santé. Les guides de voyage emboîtent le pas. À la fin du 18e siècle, écrit Laurent Turcot, les guides sont devenus «un support à l’individualisation de la promenade. Ils légitiment des usages qui sont dorénavant centrés sur la découverte érudite de la cité et la déambulation à pied». Selon lui, les boulevards vont offrir un nouveau modèle d’aménagement de l’espace urbain qui va transformer la manière de concevoir les rues à la fin du 18e siècle. «Dorénavant, soutient Laurent Turcot, les rues seront flanquées d’un trottoir de chaque côté, cela pour répondre aux impératifs de la nouvelle pratique sociale qu’est la promenade.»
«À cette époque comme aujourd’hui, affirme Laurent Turcot, le seul moyen d’entrer en contact direct avec l’âme d’une ville consiste à la parcourir à pied, à se promener dans les rues, à contempler.» Selon lui, quelque chose se crée dans l’esprit de celui qui se promène, comme «l’impression d’être en communion avec la foule, une sorte de frisson délicieux, d’où l’expression: l’aventure est au coin de la rue». Au 19e siècle, le poète Charles Baudelaire écrivait: «Le promeneur solitaire et pensif tire une singulière ivresse de cette universelle communion». Laurent Turcot n’hésite pas à établir une filiation entre le promeneur urbain du 18e siècle et celui d’aujourd’hui. «Nous sommes, en quelque sorte, des fils et des filles des premiers promeneurs», dit-il.