«Cette revue est une véritable institution en Russie, explique Alexandre Sadetsky. Elle a survécu à la Révolution de 1917, traversé les 70 ans de l’époque soviétique et est toujours lue partout dans le monde russophone, même dans les anciennes républiques de l’URSS. Évidemment, le 400e anniversaire de la ville de Québec y est pour beaucoup dans ce choix, mais il montre aussi l’intérêt qu’ont les Russes pour la littérature québécoise. En effet, il est assez rare qu’on décide de consacrer tout un numéro à la littérature d’une seule collectivité.» Parmi les auteurs québécois dont on trouve les œuvres dans cette illustre publication figurent Michel Tremblay, Émile Nelligan, Jacques Godbout, Yves Beauchemin, Gaston Miron, Gabrielle Roy, Robert Lalonde, Monique Proulx et Robert Lepage. Ce dernier est d’ailleurs immensément populaire en Russie où le public lui voue un véritable culte, de souligner Alexandre Sadetsky.
Une terre de liberté
Cela dit, il existe beaucoup d’affinités entre la littérature québécoise et la littérature russe, estime Alexandre Sadetsky. D’abord, ce sont des littératures où la nordicité et les grands espaces jouent un rôle important. Ensuite, dans l’esprit de bien des Russes, le Québec représente une terre de liberté où tout est possible. Puis, de manière plus terre-à-terre, la langue française, qui est la troisième langue la plus étudiée en Russie après l’anglais et l’allemand, exerce encore un grand attrait auprès de la population, même si elle n’est plus, comme au 19e siècle, la langue de l’élite. Bien sûr, les gens lisent les auteurs québécois en russe, mais il n’en demeure pas moins qu’ils détectent dans la littérature québécoise un je ne sais quoi qui leur parle à l’oreille.
«Sur le plan du tempérament et des relations humaines, les Québécois et les Russes se ressemblent beaucoup», dit Henri Dorion qui a enseigné la géographie politique de la Russie pendant presque 20 ans à l’Université Laval. «Ils ne sont pas très ouverts au début, mais quand on réussit à percer l’écorce, de belles amitiés peuvent éclore.» S’il comprend que les Québécois soient attirés par la culture extrêmement riche de la Russie, Henri Dorion a davantage de difficultés à saisir les motivations incitant les Russes à s’intéresser au Québec. Après tout, sauf à Moscou, et même encore, le Québec n’est pas tellement connu. «Il est certain que nous avons certains défis en commun, comme le fait de devoir trouver des moyens de développer et d’aménager le territoire malgré l’immensité des lieux et les grandes distances à parcourir, souligne le géographe. Les Russes s’intéressent aussi au fonctionnement du fédéralisme canadien et à la place du Québec au sein du Canada.»
Une place privilégiée
Si le Québec fait parler de lui à Moscou, c’est qu’il occupe une place privilégiée à l’Université d’État des sciences humaines de Russie. Abritant le Centre Moscou-Québec, cette université offre depuis 2001 un programme d’études québécoises axé sur l’histoire, la culture et les archives de l’Amérique francophone. «Nous sommes très contents du fait que les étudiants russes s’intéressent à la culture francophone de l’Amérique du Nord et, surtout, qu’ils puissent le faire dans une université aussi réputée, explique Tatiana Mogislevskaya, directrice du Centre Moscou-Québec à l’Université Laval. Plus de 400 étudiants québécois sont allés parfaire leur apprentissage de la culture et de la langue russes à Moscou. Beaucoup se sont associés au corps professoral russe dans l’élaboration de programmes offerts aux étudiants russes.» De leur côté, une quarantaine d’étudiants russes ont effectué un stage à Québec.
Le Centre Moscou-Québec fait également la promotion de la culture québécoise en Russie par diverses activités comme des concerts et des récitals. Chez nous, un concert de piano avec des artistes québécois et russes de renom a récemment eu lieu au Palais Montcalm pour célébrer en grand le 10e anniversaire de ce centre considéré comme l’un des meilleurs centres de documentation sur les études québécoises dans le monde. Rappelons que le Centre Moscou-Québec a pu démarrer ses activités grâce à l’obtention, par le Centre d’études interuniversitaires sur les lettres, les arts et les traditions (CÉLAT), d’une importante subvention provenant du ministère des Relations internationales du Québec.