Richard Bégin est professeur invité en études cinématographiques au Département des littératures. Le vendredi 30 mai, au pavillon Alphonse-Desjardins, il a prononcé une conférence sur La neuvaine, un film scénarisé et réalisé par Bernard Émond et paru en 2005. Son exposé s’inscrivait dans la programmation du quatrième colloque international du Réseau de recherche en analyse narrative des textes bibliques. Le colloque était organisé par la Faculté de théologie et de sciences religieuses.
La neuvaine raconte l’histoire de Jeanne, médecin urgentologue, traumatisée par le meurtre d’une jeune patiente et de son bébé par un mari violent. Elle avait, un temps, hébergé chez elle la jeune mère et son enfant. Se croyant responsable de cette tragédie, ayant perdu le goût de vivre, Jeanne quitte son domicile montréalais et roule sans but jusqu’à Sainte-Anne-de-Beaupré. Sur le quai du village, seule, elle est sur le point de se jeter dans le fleuve lorsque survient François. Ce jeune homme taciturne fait, au sanctuaire, une neuvaine à sainte Anne pour obtenir la guérison de sa grand-mère mourante. Par sa présence, il empêche Jeanne de commettre son geste de désespoir.
«S’il y a du sacré dans ce film, affirme Richard Bégin, il s’incarne dans cette seule scène qui figure le temps de la transformation, qui apparaît comme un moment de convergence de deux sphères symboliques. Si Jeanne vit dans le bruit assourdissant de la ville, François semble flotter dans le silence de la campagne où seul le bruit d’un plancher qui craque dérange la douceur d’un inéluctable écoulement du temps. Une force mystérieuse émerge de cette rencontre et introduit une sensibilité imaginaire de l’ordre du sacré qui annonce le temps de la rédemption pour Jeanne.»
Cette scène-charnière dure quelques minutes, mais représente une durée beaucoup plus longue. Assis chacun sur un gros bloc de ciment, Jeanne et François contemplent silencieusement, sous un ciel gris, le fleuve et l’île d’Orléans au loin. Lorsque Jeanne se lève et s’en retourne à pied au village, un rayon de soleil vient éclairer sa marche. Les deux personnages se reverront. Selon Richard Bégin, la rencontre est le lieu même d’une transformation. «La scène est silencieuse, dit-il, il s’y incarne un temps qui s’éprouve dans la durée, le devenir, la contemplation.»
Dans ce film, le sacré s’incarne notamment dans la force qui anime la foi de François. La simplicité et la bonté de ce personnage touchent Jeanne. Ces valeurs la réconcilieront peu à peu avec la vie au point qu’elle acceptera d’examiner la grand-mère de François qui finira par s’éteindre dans la paix et la sérénité.
Dans La neuvaine, la cinématographie participe à la tentative du réalisateur d’imager l’invisible. Selon Richard Bégin, les regards contemplatifs, les gestes délicats, les paysages crépusculaires et la musique lancinante permettent, comme la figuration de l’ailleurs, de représenter l’immatériel. «S’il y a un aspect de ce film qui, d’après moi, prédispose davantage à l’expression d’une transcendance, c’est bien le silence, poursuit-il. Le silence au cinéma est peut-être l’élément qui caractérise le mieux la transcendance du monde.» Selon le professeur, le silence et la musique se marient particulièrement bien dans ce film. «La discrétion de la musique de Robert Marcel Lepage lui permet de se joindre au silence sans que nous puissions jamais rendre compte du passage de l’un à l’autre. Ce qui fait la force de cette musique.»