Écrits notamment pour la revue Le médecin du Québec, ces récits dépeignent une société en plein désarroi, un «univers souffrant» comme le qualifie cet amoureux du Grand nord qui refuse pourtant de sombrer dans le pessimisme. «C’est vrai que la situation dans cette région ressemble au chaos, reconnaît Jean Désy, mais je ne peux que constater la profonde insignifiance, le vide en ciboulette de la société sudiste lorsque je reviens au Québec. Il suffit pour ça de jeter un coup d’œil sur la publicité ou de regarder une série télévisée comme C.A.» Chacune des huit nouvelles qui composent Au nord de nos vies, un recueil publié récemment chez XYZ, raconte une histoire à part entière, une histoire médicale et surtout humaine dans un environnement hautement hostile mais intrinsèquement magnifique. Comme le précise ce médecin humaniste, «c’est un univers que l’on pourrait qualifier de morbide, avec beaucoup de problèmes liés au sous-développement, mais en même temps ce n’est pas désespérant car la beauté des fleurs, des caribous, de la neige est bien présente.» Dans un des textes d’ailleurs, un médecin se perd presque dans une tempête de neige un 1er juin en essayant d’oublier dans la toundra et «la sauvage infinité du paysage», la tristesse et la colère engendrés par les vies brisées qu’il croise à l’hôpital.
La dignité en exemple
Nullement moralisateur, Jean Désy entretient un rapport affectueux avec les Inuit qu’il considère d’ailleurs si faciles à soigner et surtout d’une dignité remarquable. Prenez Mary, par exemple, six ans d’hospitalisations répétées, «cette vieille d’Ivujik souriait perpétuellement, même quand elle aurait dû techniquement trépasser, quand elle n’aurait pas dû survivre, si l’on en croit les manuels la nature.» L’exemple de Papy, né dans un iglou, chasseur et pêcheur tout au long de sa vie, illustre quant à lui le choc des cultures et les dilemmes auxquels les hommes et les femmes en blouse blanche doivent faire face. Éduqué à survivre dans un univers de neige, le vieil homme préfère attenter à ses jours plutôt que de supporter sa déchéance physique provoquée par le diabète. Une fois sauvé, faut-il continuer à le maintenir en vie malgré lui, ou laisser son existence s’éteindre ? «Je ne pense pas qu’on puisse être pour ou contre l’euthanasie, remarque Jean Désy. Cependant, il faut avoir le courage parfois de dire que c’est assez. »
À l’entendre, la littérature permet de poser ce genre de questions, sans jugement intempestif. Elle constitue aussi un antidote à une dérive rationnelle, et surtout à une certaine technoscience qui l’inquiètent tant chez plusieurs de ses confrères. Depuis plusieurs années, Jean Désy donne d’ailleurs un cours aux étudiants en médecine de l’Université Laval sur la littérature et l’humanisme. Les futurs praticiens partent à la découverte de leurs congénères grâce à des œuvres comme La peste d’Albert Camus, ou Le Rouge et le Noir de Stendhal. Aux yeux de Jean Désy, la fiction permet peut-être de renouer avec une certaine irrationalité avec laquelle d’ailleurs les Inuit vivent de connivence depuis tant de milliers d’années. La plupart des récits du recueil contiennent d’ailleurs une part d’intuition, de prémonition que notre imaginaire actuel considère aux antipodes d’une pratique médicale scientifique. Une nouvelle pousse d’ailleurs au paroxysme cette irrationalité puisqu’un bébé y revient à la vie dans les bras d’une étudiante en médecine transformée en ange. Une métaphore peut-être de la manière dont la société inuit, si prolifique en enfants, pourrait tourner le dos à ses malheurs dans un futur proche.