
La pièce Le récit lacrymogène, créée en 2013, est inspirée du système narratif ouvert de Georges Perec.
— Renée Méthot
Parmi ces artistes, Paryse Martin, une rebelle dans l'âme, perçoit l'exposition comme une charmante insurrection. «Elle donne des dimensions plus actuelles au Musée, remarque-t-elle. Tous les artistes y montrent une forme de résistance au système. Pour ma part, j'aime la révolution. Je suis une punk!» Mettant à la fois en valeur un savoir-faire particulier, une pensée contestataire et un aspect ludique, trois œuvres de cette chargée d'enseignement à l'École d'art trouvent une place de choix parmi les fascinants objets exposés.
«Ces pièces représentent trois moments de ma vie», avoue l'artiste. La première œuvre, qui se trouve dans la section irrévérencieuse de l'exposition, date des années 1980. Sous le titre Modestes et mignons, une douzaine de phallus décorés de maints détails aux couleurs vives rappellent les arts de la couture, de la broderie ainsi que de la décoration en pâtisserie. «Il s'agissait d'une affirmation résolument féministe et, à l'époque, ma création a été censurée. Plusieurs n'appréciaient guère qu'une telle œuvre ait été réalisée par une toute jeune femme», indique Paryse Martin. Le titre fait référence au roman Modeste Mignon de Balzac, dans lequel une jeune fille doit choisir un mari parmi plusieurs prétendants, dont certains aux attraits brillants, somptueux et frivoles. Sur quel critère, superficiel ou non, s'appuiera la jeune fille? Voilà tout l'intérêt du roman. De la même façon, raconte Paryse Martin, les petits phallus, tout fleuris et enjolivés, cherchent à séduire par leurs apprêts.
La deuxième pièce, L'Univers chiffonné, est une partie de l'installation Manœuvres exquises, présentée en 2005. Dans cette installation, l'artiste s'intéressait à la mise en pratique de la pensée baroque en tant que réorganisation hétérogène d'un univers, lui-même chaotique. L'Univers chiffonné est inspiré du livre du même nom, écrit par l'astrophysicien français Jean-Pierre Luminet, qui porte sur la forme du Cosmos. «Cette œuvre, dit-elle, est ma réponse personnelle aux questions touchant à la forme de l'Univers. Celui-ci est-il fini ou infini? Plat ou circulaire? Lisse ou texturé? L'art, tout comme la science, peut participer à la recherche et à la création du savoir. Pour ma part, une partie de ma réponse est liée à la conception du temps.» En effet, Paryse Martin explique que cette pièce, créée à partir de petites bandelettes de carton pliées et repliées qui s'enroulent et se superposent, présente une surcharge de détails qui amène nécessairement un autre rapport au temps. «Dans notre société capitaliste, le temps est compté en termes d'argent. Toute dépense de temps doit être rentable. Or, je m'oppose à cette vision. Dans ma pièce, il y a tellement de pliures patiemment réalisées qu'on comprend que le temps engagé à réaliser cette œuvre n'a pas été compté. Mon œuvre est anticapitaliste, tout comme ma conception du monde», affirme-t-elle.
Cette artiste, qui adore «gaspiller» du temps au «profit» du beau et du plaisir a créé la troisième pièce, Le récit lacrymogène, dans le même esprit. Elle aussi issue d'une installation plus vaste – Histoires lacrymogènes –, cette création de 2013 est également composée d'une infinité de petits éléments. «J'ai pris quatre mois à réaliser uniquement le dessin qu'il y a sur la boule, tant il y a de détails», révèle Paryse Martin. Composée d'une sphère sur un socle à trois pattes, l'œuvre est inspirée du système narratif ouvert de Georges Perec. Sur la sphère sont juxtaposés une série de petits dessins, hétéroclites et étranges, destinés à créer une histoire différente chez chaque spectateur. Par exemple, un ciseau ouvert y côtoie un personnage accoté sur une méduse, qui elle-même se tient près d'un pied sur le point de marcher sur une tache d'encre. Sans début ni fin, sans parcours préconçu, le récit se construit selon la fantaisie de chacun. «L'histoire est complètement ouverte! Il y a des renvois, des similitudes, des liens entre des dessins qui permettent des associations imprévisibles. De plus, diverses couches s'entrecroisent. On peut mettre à jour des liens sensualistes, des liens surréalistes, des liens narratifs…», explique Paryse Martin, qui souhaite ardemment que les visiteurs du Musée prendront plaisir à «perdre du temps» dans la contemplation de tous les détails et à laisser libre cours à leur imagination.
La chargée d'enseignement en arts visuels est visiblement enchantée de participer à un tel événement, conçu pour plaire à tous. «L'exposition, telle que mise en place par le commissaire Bernard Lamarche, permet aux différentes œuvres de dialoguer entre elles, de parler de façon différente. C'est une exposition pleine de vie et de joyeuses surprises. Tout le monde pourra y dépenser délicieusement son temps. Ça fait du bien!», souligne-t-elle avec enthousiasme. Faites-vous donc plaisir cet été et prenez le temps d'aller admirer ces pièces uniques!
L'exposition se tient jusqu'au 3 septembre, au MNBAQ (179, Grande Allée Ouest). Plus d'information:

Photo : MNBAQ