Une dame vêtue de blanc attend dans l’allée. La seigneuresse du lieu? «Il y a bien longtemps que la seigneurie a disparu. Le système a été aboli au milieu du 19e siècle», proteste Odette Dick, en riant de bon cœur.
L’actuelle propriétaire du domaine fondé en 1693 s’est prise de passion pour l’histoire du site, qui a été en effet l’une des premières seigneuries de Nouvelle-France. Elle peut parler en experte des meules tirées du vieux moulin, récupérées pour former le sol de la terrasse, ou des 48 carreaux qui forment chaque fenêtre de la maison, importés des vieux pays dans les cales de navires qui employaient le verre comme matériau de ballast. Mais ce qui la captive au plus haut point, c’est la mémoire du grand écrivain qui a vécu dans cette maison la plupart des 31 années de sa trop courte vie. Un passage attesté par des actes légaux qu’elle conserve avec soin.
«Il était un homme à part, décrit-elle avec affection. Beau avec ça, et charmeur! La coqueluche du village. Ouvert à la modernité, il lisait Baudelaire et écoutait Debussy. Il a été un grand créateur, mais c’est surtout l’homme qui continue d’intéresser les gens.» Les jeunes peuvent se reconnaître dans cet être intense qui portait le béret plutôt que la tuque, trinquait au vin plus volontiers qu’à la bière et emmenait les filles se balader en voiture au clair de lune…
Directeur du Centre Hector-de-Saint-Denys-Garneau, créé à l’Université pour soutenir l’étude de la poésie québécoise, François Dumont confirme l’intérêt de la relève pour l’œuvre de l’écrivain. «Les étudiants se reconnaissent dans cette poésie. Ils y entrent facilement et la réinterprètent selon leur époque. Saint-Denys Garneau est l’un des auteurs les plus importants actuellement, pas juste dans l’histoire», estime le professeur de la Faculté des lettres.
Son équipe vient d’ailleurs de publier chez Nota Bene une édition raisonnée du journal intime du poète. «On l’a reconstruit pour que les lecteurs lisent les cahiers dans le bon ordre, précise le chercheur. Et on a intégré les esquisses de poèmes.»
Si cet ouvrage a pu paraître, c’est beaucoup grâce à Odette Dick. La mécène a versé le salaire de l’assistante de recherche, Julie St-Laurent, qui consacre sa maîtrise à l’écrivain. Elle est aussi engagée depuis longtemps dans une fondation qui attribue chaque année une bourse de 1 000 $ à un étudiant en création littéraire et en cofinance une autre sur la recherche en littérature.
Pourquoi cet engagement? «Saint-Denys Garneau méritait d’être mieux connu, explique cette dame à la belle élocution, qui a étudié les lettres à l’Université et enseigné à Montréal. Avant, trop peu de ses œuvres étaient publiées. L’étude de ses archives au Centre a été un moteur de changement.»
Odette Dick ne pouvait laisser passer sous silence le 100e anniversaire de naissance de «son» poète. Elle ouvre donc les portes de la maison qui a été la sienne. Les visiteurs pourront s’initier à l’écrivain en parcourant une petite exposition de ses livres, peintures et photographies. Sous un chapiteau, ils pourront visionner le documentaire de Jean-Philippe Dupuis, Saint-Denys Garneau, primé l’an dernier au Festival international des films sur l’art. Ils pourront enfin piqueniquer sur la pelouse et marcher dans la vieille seigneurie où gargouille la rivière Ontaritzi. En suivant les pas d’un amoureux de la nature qui aimait y rêvasser, il y a de cela bien longtemps…
Le manoir Juchereau-Duchesnay sera ouvert aux visiteurs les 23, 24 et 30 juin ainsi que le 1er juillet, de 11 h à 19 h. Adresse: 4, route Saint-Denys-Garneau, Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier. Stationnement gratuit à la quincaillerie voisine.