
— Alexander Francis Lydon
Dans les laboratoires de l'Institut de biologie intégrative et des systèmes (IBIS), François Olivier Hébert amorce un projet transdisciplinaire novateur. Faisant appel aux dernières avancées de la biologie moléculaire, de la biochimie et de la génomique, entre autres, il étudie comment certains parasites arrivent à manipuler leur hôte.
«Ce que j'essaye de comprendre, c'est comment le changement de comportement est modulé par l'activité biochimique et métabolique du parasite. En d'autres mots, comment le parasite fait pour contourner les défenses de son hôte et changer sa personnalité grâce aux molécules qu'il exprime», explique-t-il.
Pas d'inquiétude, il ne s'agit pas d'une bête capable de prendre le contrôle d'un humain! À l'étude: la relation entre un petit ver plat (Schistocephalus solidus), qui s'apparente au ver solitaire, et un poisson victime de son appétit, l'épinoche à trois épines (Gasterosteus aculeatus).
Le ver ressemble au départ à une minuscule pelote couverte de cils. Avalé tout rond par un crustacé appelé copépode, il s’en sert pour attirer sa proie: un poisson. Et pop! Une jeune épinoche à trois épines a mordu à l'hameçon! Tel est pris qui croyait prendre. En quelques heures à peine, le ver traverse la paroi intestinale de son hôte. Son abdomen fera un parfait incubateur. Là, le parasite poursuit tranquillement sa métamorphose, s'abreuvant à même les vaisseaux sanguins de sa victime. Il croît de façon exponentielle. Dans des cas exceptionnels, il pourrait même atteindre un poids supérieur à celui de son hôte.
«Ce parasite est une version presque intime du vampire, décrit François Olivier Hébert avec fascination. Il plante ses crochets dans la paroi intestinale pour se goinfrer du sang qui vient d'être enrichi en éléments nutritifs... Comme quoi les idées du cinéma ne viennent pas de si loin!»
Petit à petit, l'épinoche semble envahie d'une étrange torpeur. Elle devient de moins en moins énergique et vigilante. Elle semble ne plus vraiment savoir ce qu'elle fait. Comme une vraie morte-vivante, elle change d'allure. Les pigments de sa peau se détériorent. Sa robe vert argenté, olive ou verdâtre (ou encore la couleur nuptiale rougeoyante qu'arbore l'épinoche mâle en temps de frai) perd de son éclat. Son abdomen se distend à mesure qu'augmente la masse parasitaire.
De l'intérieur, ce n'est guère plus réjouissant. Une seule épinoche infectée peut héberger des dizaines de parasites (pour un maximum répertorié de 130)! On peut imaginer le dégât. Déplacement des viscères, constriction de l'estomac... Le cœur et le foie sont parfois même arrachés aux tissus qui les maintenaient en place.
L’épinoche en vient à se déplacer lentement, avec peine. «Ça rappelle l’idée du zombie véhiculée par le cinéma hollywoodien autour de 1970: une infection profonde et viscérale qui change la personnalité de l’hôte, dont les comportements deviennent machinaux et mécaniques, sans rapport à leur utilité immédiate», déclare l’étudiant-chercheur aussi amateur de films d'horreur.
D’abord, les épinoches infectées échappent moins facilement aux prédateurs. Plus téméraires, elles quittent la sécurité apparente du banc de poissons pour aller s'alimenter ailleurs. Lorsqu'un prédateur les attaque, elles le fuient plus lentement, s'éloignent moins et se cachent moins bien. Ensuite, elles modifient leurs migrations journalières: elles se tiennent davantage à proximité de la surface durant le jour, ce qui augmente leur visibilité. «Les poissons lourdement infectés en viennent à errer en surface de l’eau en tournant en rond sans trop savoir pourquoi.» Et, comme pour couronner le tout, ils semblent préférer les eaux qui sont à une température optimale pour la croissance du parasite.
«Ils sont encore des poissons, mais complètement dénaturés: ils nagent sans but précis, ils ne se reproduisent plus, ils perdent la plupart de leurs fonctions physiologiques normales, bref, ils deviennent une enveloppe corporelle asservie aux besoins du parasite», résume François Oliver Hébert.
Une fois zombifiée, l’épinoche finit souvent dans le bec d’un oiseau piscivore. Le parasite a alors atteint une taille suffisante pour passer à la phase finale de son cycle de vie. Il s’est reproduit (avec un autre ver ou avec lui-même), il a pondu ses œufs et il est mort. Les œufs se dispersent dans la nature par les fientes de l’oiseau.
François Olivier Hébert tente de comprendre par quels moyens le parasite manipule le système endocrinien de son hôte, et ultimement son cerveau. Il compte injecter à des individus sains du sang d'épinoches infectées afin de documenter les effets que cela pourrait avoir sur leurs comportements.
«Ce projet permettra d’identifier certains mécanismes de manipulation du comportement par un parasite non cérébral chez les vertébrés, ce qui n’a encore jamais été réalisé, conclut le jeune chercheur. De manière générale, il nous permettra aussi de mieux comprendre comment leurs comportements sont influencés par leur environnement.»