
À une certaine époque, la vache canadienne dominait le cheptel québécois, mais aujourd'hui, on compte environ 400 femelles de race pure.
— Françoise Gervais
«Il est minuit moins une pour sauver la vache canadienne», prévient Julien Chamberland, professeur à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation. Avec ses collègues Rachel Gervais et Claude Robert, membres du corps professoral de la même faculté, il veut préserver cette vache patrimoniale, arrivée en Nouvelle-France dès le début de la colonisation, alors qu'à peine deux troupeaux subsistent encore.
Les trois scientifiques mettent en commun leur expertise en transformation fromagère, en production laitière et en génomique pour redonner une place de choix à la vache canadienne dans le paysage agroalimentaire québécois, particulièrement dans l'industrie fromagère. «Leurs fromages sont exceptionnels», souligne le professeur Chamberland.
Pour mener leurs travaux, l'équipe a collaboré avec le Centre de recherche en sciences animales de Deschambault (CRSAD) pour acquérir cinq vaches laitières canadiennes et une petite génisse, appelée Victorine en l'honneur de la mascotte Victor du Rouge et Or.
Trouver l'alimentation la plus adaptée
Avec ce petit troupeau, la professeure Rachel Gervais teste différentes rations de nourriture et documente les effets sur la production laitière et sur le lait, qui sera transformé en fromage. L'objectif est de remplacer une partie du sucre des rations, souvent du maïs, par du lactosérum, le liquide obtenu après la coagulation du lait lors de la fabrication du fromage. «Ce changement dans la nourriture permettrait aux petits transformateurs de valoriser un coproduit de l'industrie, en plus de réduire le coût des rations», précise la chercheuse.
Julien Chamberland rappelle aussi que 25% des émissions de gaz à effet de serre de la production laitière sont liées à la production d'intrants comme le maïs et les céréales. L'utilisation du lactosérum permettrait donc de réduire l'impact environnemental associé à la production de la nourriture des vaches.
L'équipe de la professeure Gervais collecte le lait des vaches selon leur régime alimentaire, puis les envoie au Laboratoire de technologie alimentaire pour le groupe de Julien Chamberland. «C'est là que la magie opère», lance-t-elle.

Miatanie Breton-Bernier, étudiante à la maîtrise au Département des sciences animales dans l'équipe de Rachel Gervais, avec la petite génisse Victorine.
— Françoise Gervais
Caractériser le lait et le fromage
Avec ses étudiantes et étudiants, le chercheur standardise le lait pour avoir des teneurs équivalentes en matière grasse et en protéines pour le comparer sur une même base. «On sait à quel point chaque goutte de lait est précieuse. On ne gaspille rien», assure le professeur Chamberland. Il choisit ensuite le type de fromage. «Dans le cas de la vache canadienne, on fabrique des fromages cheddar pour reproduire la tradition du cheddar canadien», ajoute le chercheur.
L'équipe compare le lait de la vache holstein, la plus commune au Québec, souvent reconnaissable par ses taches noires et blanches, au lait de la canadienne. Elle compare aussi le lait des vaches canadiennes recevant une ration traditionnelle par rapport à une ration composée de lactosérum.
«On regarde différents paramètres comme la composition du lait, son comportement à la coagulation, les rendements de fabrication et l'arôme des fromages, indique le professeur Chamberland. Dans nos plus récents travaux, on a noté que le fromage de holstein avait un goût très neutre et un peu plus acidulé, tandis que celui de la canadienne se démarquait par des arômes de beurre, des arômes beaucoup plus riches.»
En plus des caractéristiques fromagères, le professeur Claude Robert ajoutera un aspect génomique pour isoler des composés dans le lait propre à la canadienne.
Outiller l'industrie pour intégrer la canadienne
En caractérisant les traits distinctifs de la vache canadienne, les trois scientifiques espèrent faciliter son adoption dans l'industrie. «Il y a beaucoup de folklore quand on parle à des producteurs: la canadienne ne mange pas comme les autres, elle est vraiment plus résistante, elle est plus si, elle est moins ça… mais il n'y a pas vraiment de données tangibles», relève Rachel Gervais.
Les fromages de vache canadienne font l'objet d'une appellation de spécificité, mais il est impossible pour l'instant de les certifier, à moins de transformer le lait d'un troupeau composé à 100% de cette race bovine. Cela nuit à son intégration au cheptel québécois, explique la professeure Gervais, car elles sont moins rentables économiquement que les vaches holsteins, qui produisent plus de lait. «Ça freine les producteurs qui en auraient peut-être une dizaine dans leur étable.»
L'équipe souhaite doter l'industrie d'outils de traçabilité qui permettrait de garantir que le lait ne provient que de vaches canadiennes, tout en ayant un troupeau diversifié.
«On ne veut pas condamner le lait de vache holstein, on veut se donner les outils pour valoriser pleinement le potentiel de la canadienne pour éviter qu'elle ne disparaisse. On veut donner le choix aux consommateurs de s'engager à préserver la biodiversité et le patrimoine», insiste Rachel Gervais.
Pour ce projet, les scientifiques collaborent avec l'Association de mise en valeur de la race bovine canadienne.

























