21 mai 2025
Lutte contre l’herbe à poux : il est temps de revoir nos stratégies
Si l’on veut vraiment aider les millions de personnes qui souffrent du rhume des foins, il faut cesser de répéter ce qui n’a rien donné depuis un siècle, plaide Claude Lavoie dans son dernier ouvrage

Un seul plant de petite herbe à poux peut produire de 100 millions à 6 milliards de grains de pollen. Le pollen de cette espèce est la principale cause du rhume des foins, un problème de santé qui affecte 20% de la population.
— Getty Images/Adventure Picture
Il y a maintenant un siècle que le Québec lutte contre la petite herbe à poux, une plante dont le pollen allergène est la principale cause du rhume des foins ici et ailleurs dans le monde. Non seulement n’avons-nous pas encore réussi à gagner cette guerre, mais nous sommes en voie de la perdre, si l'on en juge par l’expansion continue de cette espèce envahissante.
Dans son dernier ouvrage, Herbe à poux, 100 ans de guerre contre le rhume des foins, publié chez MultiMondes, Claude Lavoie, professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval, passe en revue les efforts déployés depuis un siècle pour éradiquer cette plante. Au terme de l’exercice, il en arrive à une conclusion implacable: il faut repenser la lutte contre ce fléau parce que nous n’arrivons à rien.
L’herbe à poux est un adversaire qui commande le respect, si on en juge par la description qu’en fait le professeur Lavoie. Cette espèce indigène de l'Amérique du Nord était marginale sur le continent jusqu’au 17e siècle. Plante de milieux ouverts, elle se retrouvait essentiellement sur les berges des rivières et des lacs ainsi que dans les clairières ensoleillées, en particulier celles créées par les Autochtones pour la culture du maïs, des courges ou des haricots.
L’herbe à poux ne dispose d’aucune adaptation particulière pour propager ses semences, observe le professeur Lavoie. «Plus de 99 % des graines sont disséminées, par simple effet de gravité, à tout au plus un mètre de distance du plant qui les a générées. Ce n’est pas exactement la recette gagnante d’un envahisseur qui se respecte.»
L’arrivée des colons européens et ce qui s’ensuivit – la coupe des forêts pour l’agriculture et ultérieurement la construction de routes et de voies ferrées – ont radicalement changé la donne, créant non seulement des habitats favorables à cette plante, mais aussi des corridors de propagation. De plus, le commerce local, régional et international de fourrage ou de grains contaminés par des semences d’herbe à poux a facilité l’expansion géographique phénoménale qu’a connue cette plante au cours des derniers siècles.
Aujourd’hui, la petite herbe à poux se retrouve aux quatre coins de l’Amérique du Nord, de même qu’en Europe, en Asie et en Australie, au grand dam des personnes allergiques à son abondant pollen. «Chaque plant fabrique de 100 millions à 6 milliards de grains de pollen et il en faut à peine 20 par mètre cube d’air pour déclencher les symptômes de rhume des foins», rappelle le professeur Lavoie. Il n’est pas rare que des concentrations de l’ordre de 300 grains de pollen d’herbe à poux par mètre cube d’air soient enregistrées en fin d’été dans les villes nord-américaines.
Cette production phénoménale de pollen allergène confère à l’herbe à poux le triste honneur d’être la plante la plus nuisible au monde pour la santé humaine. Et les changements climatiques n’arrangeront rien parce qu’ils prolongent la saison de production de pollen chez cette espèce.

Au siècle dernier, en région comme en ville, des jeunes étaient mobilisés pour participer à des campagnes d’arrachage d’herbe à poux au Québec. Sur cette photo qui date de septembre 1957, des jeunes du Cercle des jeunes naturalistes de l’école Saint-Paul dans l'est de Montréal posent avec une partie des plants d’herbe à poux qu’ils ont arrachés cette année-là.
— R. Meloche/Bibliothèque du Jardin botanique de Montréal
Les moyens déployés depuis un siècle pour éradiquer l’herbe à poux – l’arrachage manuel, la tonte et les herbicides – n’ont pas produit de résultats probants ou durables, constate Claude Lavoie. «Si l’on n’instaure aucune nouvelle manière de combattre l’herbe à poux et que l’on se contente de répéter ad nauseam ce qui ne donne pas de résultats depuis 100 ans, alors aussi bien passer à autre chose.»
Le professeur suggère notamment deux avenues à explorer du côté des accotements de route, l’un des habitats de prédilection de l’herbe à poux. D’une part, propose-t-il, il faudrait adapter régionalement le calendrier de tonte en fonction du climat local. D’autre part, on pourrait mettre l'herbe à poux en compétition avec le mélilot blanc, une plante qui possède des attributs similaires à la première, mais dont le pollen n’est pas allergène.

Une haie de mélilot blanc en bordure d’une route du Bas-Saint-Laurent, près de Rimouski. Cette espèce forme des bosquets très denses qui peuvent s’étendre sur des centaines de mètres. Comme elle sort de terre plus tôt que l’herbe à poux au printemps, elle pourrait la priver de lumière et avoir le dessus sur celle-ci.
— Claude Lavoie
Tout comme l’herbe à poux, le mélilot blanc prospère sur les accotements de route, dans des conditions tolérées par bien peu d'espèces. Elle atteint entre 30 cm et 200 cm de hauteur et forme des bosquets très denses qui peuvent s’étendre sur des centaines de mètres. Comme elle sort de terre plus tôt que sa rivale au printemps, elle pourrait la priver de lumière et en venir à bout.
Point négatif, l’aspect d’une haie de mélilot blanc peut donner l’impression que la route n’est pas entretenue. « Le moment est venu de laisser tomber les considérations esthétiques d’une autre époque pour s’intéresser aux services que le mélilot blanc pourrait rendre en matière de santé publique», estime Claude Lavoie.
«Nous n’allons peut-être pas gagner la guerre contre la petite herbe à poux, mais rien ne nous oblige à capituler sans condition et à cesser le combat. Repenser la lutte… L’effort en vaut la chandelle pour les millions de personnes qui souffrent de rhume des foins.»