Dans un article publié récemment par la revue Scientific Reports, des chercheurs iraniens et une équipe de l'Université Laval annoncent avoir découvert une espèce de champignon microscopique qui produit de la morphine et de la codéine. Ce champignon ferait partie du microbiote d'une espèce de pavot, le pavot à bractées, qui pousse naturellement en Turquie et en Iran.
«De plus en plus de travaux de recherche démontrent que les plantes renferment des champignons ou des bactéries, appelés endophytes, avec qui elles vivent en symbiose. Ces endophytes sont en quelque sorte le microbiote des plantes», explique l'un des auteurs de l'étude, Roger Levesque, professeur à la Faculté de médecine et chercheur à l'Institut de biologie intégrative et des systèmes (IBIS) de l'Université Laval.
Pendant longtemps, les scientifiques ont cru que les champignons qui vivaient dans les plantes étaient des organismes pathogènes en latence. Dans le dernier quart de siècle, les études ont plutôt montré que les endophytes et leur hôte entretiennent des relations profitables aux deux parties. «La plante hôte protège le champignon et elle lui fournit des éléments essentiels à sa survie. De son côté, le champignon produit des molécules qui favorisent la croissance de la plante, qui augmentent sa résilience face aux stress ou qui participent à sa défense contre des pathogènes ou des insectes», résume le professeur Levesque.
Trois membres de l'IBIS ont uni leurs efforts à ceux de chercheurs iraniens pour étudier les endophytes de quatre espèces de pavot qui vivent en milieu naturel en Iran. Rappelons que la famille du pavot regroupe des espèces qui produisent des alcaloïdes tels que la morphine, la codéine, la papavérine et la thébaïne, qui sont utilisés en médecine.
Leurs travaux ont permis d'isoler six souches de champignons qui produisent de la morphine et d'autres opiacés comme la codéine. Il s'agit de la première étude qui rapporte la production de telles molécules par des endophytes.
L'un de ces champignons, isolé du pavot à bractées, est une nouvelle espèce nommée Pithoascus kurdistanesis. Le pavot à bractéees produit de la thébaïne, mais il ne produit pas de morphine ou de codéine. «Les endophytes coévoluent avec leur hôte depuis des centaines de millions d'années, ce qui explique pourquoi ils ne sont pas éliminés, précise le professeur Levesque. La sélection naturelle a pu favoriser les endophytes qui synthétisent des molécules semblables à celles qui favorisent la croissance et la survie de leur hôte. Il se peut aussi que cette similitude résulte d'un échange de gènes entre un endophyte et son hôte.»
Afin d'établir s'il était possible de cultiver P. kurdistanesis in vitro, l'équipe de recherche a placé ce champignon dans un milieu contenant des glucides de pomme de terre en solution. «Les résultats ont été concluants, rapporte Roger Levesque. Nous avons obtenu 23 mg de morphine et de 3 mg de codéine par gramme de champignon produit. C'est un rendement qui peut être qualifié de très bon», estime-t-il.
L'équipe de recherche a ensuite séquencé le génome complet de P. kurdistanesis. «Nous avons identifié les gènes du champignon qui sont responsables de la production de morphine. La prochaine étape consiste à intégrer ces gènes dans des bactéries qui peuvent être facilement cultivées dans des bioréacteurs. Nous aurons alors un système complet et efficace qui pourrait servir à la production de morphine à des fins médicales.»
— Roger Levesque
La première auteure de l'étude publiée dans Scientific Reports, une revue du groupe Nature Research, est la professionnelle de recherche Sima Mohammadi, membre de l'équipe de Roger Levesque. Les autres signataires sont Roger Levesque, Antony Vincent, professeur à de la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval, et leurs collègues iraniens Bahman Bahramnejad, Jafar Abdollahzadeh, Samaneh Bashiri, Mohammad Majdi et Jalal Soltani.