Pour convaincre les parents des bienfaits de faire vacciner leurs enfants, il est tentant d'évoquer des statistiques, des données probantes et des arguments rationnels, mais les témoignages chargés d'émotion constituent un outil de persuasion dont les agences de santé publique auraient tort de se priver. C'est ce que suggère une étude publiée dans la revue Human Vaccines & Immunotherapeutics par une équipe de recherche dirigée par Eve Dubé, professeure au Département d'anthropologie de l'Université Laval et chercheuse au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval.
Pour faire cette démonstration, l'équipe de recherche a demandé à 1500 personnes vivant au Canada et ayant des enfants de moins de 5 ans de visionner une vidéo de 2 à 4 minutes présentant le témoignage de véritables personnes relatant une expérience vécue en lien avec la vaccination. Les personnes qui participaient à l'étude devaient remplir, avant et après le visionnement de la vidéo, un questionnaire portant sur leur attitude face à la vaccination, sur leur intention de faire vacciner leurs enfants et sur leur opinion à l'égard de la vaccination des enfants.
Trois vidéos ont été testées dans le cadre de cette étude. La première vidéo raconte l'histoire de deux parents qui étaient opposés à la vaccination en raison de fausses informations trouvées sur le Web. Des recherches plus exhaustives sur des sites fiables les ont convaincus de revoir leur position et de faire vacciner leurs enfants. «Il s'agit d'un récit de conversion, une technique fréquemment utilisée par les mouvements anti-vaccination, sauf qu'ici, le récit sert à soutenir un argumentaire favorable aux vaccins», explique Eve Dubé.
Dans la deuxième vidéo (non diffusée en ligne), un pédiatre parle de deux enfants placés sous ses soins qui sont décédés des suites de maladies que la vaccination aurait pu prévenir, et de la difficile tâche d'en faire l'annonce aux parents. «Les mouvements anti-vaccination font souvent appel à des scientifiques pour parler des risques associés à la vaccination, rappelle la chercheuse. Ici, un pédiatre raconte ce qui se peut se produire lorsque les enfants ne sont pas vaccinés.»
La troisième vidéo donne la parole à une mère dont le fils est devenu polyhandicapé après avoir contracté une infection invasive à méningocoque, une maladie qui peut être prévenue par la vaccination. «Le fils est aux côtés de sa mère pendant le témoignage de celle-ci. C'est une vidéo extrêmement touchante», souligne la chercheuse.
Au terme de l'exercice, l'équipe de recherche a constaté que les trois vidéos avaient un effet très modeste sur l'intention de faire vacciner les enfants et sur l'attitude des parents par rapport aux vaccins. «On ne s'attendait pas à ce que le visionnement d'une courte vidéo ait une grande influence sur l'attitude des parents face à la vaccination ni sur leur intention de faire vacciner leurs enfants, précise la professeure Dubé. Il faut répéter très souvent un même message avant que les gens remettent en question des idées cristallisées.»
Par contre, 19% des parents qui avaient vu ces vidéos estimaient qu'elles avaient changé leur opinion sur la vaccination des enfants. C'est le témoignage de la mère qui a obtenu le pourcentage le plus élevé (23%), suivi par celui du pédiatre (21%) et celui des parents (14%).
«Les données montrent que c'est la vidéo avec la plus grande charge émotive qui a le plus d'effet sur l'opinion des parents, résume Eve Dubé. Au Canada, les agences de santé publique ne font pas appel aux témoignages personnels ni aux émotions dans leurs campagnes de promotion de la vaccination. On semble croire que les avantages des vaccins sont tellement grands qu'il suffit d'informer objectivement les gens pour qu'ils y soient favorables.»
— Eve Dubé
Pourtant, s'il y a une chose que les mouvements anti-vaccination nous ont apprise, c'est la force de persuasion des témoignages personnels. «L'information basée sur les données probantes est essentielle aux campagnes de promotion de la vaccination, mais les messages qui ciblent les émotions devraient aussi avoir leur place dans le coffre à outils dont nous disposons. Les récentes campagnes de prévention des accidents de la route ont utilisé des images-chocs et des messages faisant appel aux émotions pour promouvoir la sécurité routière. Je ne vois pas pourquoi on devrait s'en priver lorsqu'il est question de vaccination», conclut Eve Dubé.
L'étude parue dans Human Vaccines & Immunotherapeutics est signée par neuf autres personnes, dont Holly Witteman, de la Faculté de médecine de l'Université Laval.