8 octobre 2024
Les correspondances de Paul Sérusier et Maurice Denis décryptées
Avec son livre, la doctorante en histoire de l'art Claudie Maynard lève le voile sur la relation méconnue de ces deux artistes qui ont marqué la peinture française au tournant du 20e siècle
Ce que l'histoire a retenu de la vie du peintre Paul Sérusier, c'est surtout sa rencontre avec Paul Gauguin. En 1888, Sérusier séjourne à Pont-Aven, en Bretagne. Sous les directives de Gauguin, il réalise un petit tableau qui deviendra mythique, Le Talisman. L'œuvre, avec ses couleurs vives et saturées, deviendra le manifeste fondateur des nabis, mouvement postimpressionniste d'avant-garde.
Ce que plusieurs ignorent, c'est qu'un autre peintre, Maurice Denis, a eu un impact tout aussi important sur le parcours de Sérusier, et vice-versa. Près de quarante ans durant, les deux amis échangeront des lettres dans lesquelles ils partageront des idées qui vont contribuer à l'essor de leur carrière et du courant artistique qu'ils ont cofondé.
«Les historiens de l'art se sont beaucoup intéressés au passé de Sérusier avec Gauguin, qui est tout de même une période minime par rapport à la longue carrière qu'il a eue. C'est comme si on se concentrait sur la pointe de l'iceberg alors qu'il y a tout un passé à découvrir», rappelle Claudie Maynard.
Cette étudiante au doctorat en histoire de l'art cosigne Sérusier-Denis: de la «Définition du néotraditionnisme» à l'ABC de la peinture (1889-1943). L'ouvrage, qui vient de paraître aux Éditions Fage, réunit 165 lettres écrites par Paul Sérusier et Maurice Denis. Ces correspondances, dévoilées pour la première fois, sont accompagnées de nombreuses informations sur leur parcours et leur démarche d'artiste.
«Produit avec la collaboration de l'historienne de l'art Fabienne Stahl, spécialiste mondialement reconnue de Maurice Denis, ce livre est la somme d'un travail de cinq ans et de deux voyages en France. Il s'agit de l'édition la plus complète jamais réalisée de la correspondance de Paul Sérusier», dit celle qui effectue sa thèse sous la direction de la professeure Françoise Lucbert.
— Claudie Maynard
Le corpus des correspondances de Maurice Denis est monumental avec plus de 20 000 lettres répertoriées à ce jour. Contrairement à Sérusier, qui a laissé peu de traces à part ses peintures, il gardait presque tous ses écrits. Ces documents ont été conservés précieusement pendant près d'un siècle par la famille de l'artiste.
Le fait de se déplacer in situ pour consulter ces archives a permis à Claudie Maynard de faire plusieurs découvertes et parfois même de démêler le vrai du faux. «En ayant accès aux originaux des lettres, nous avons pu confirmer certaines hypothèses et dater les écrits. Les documents n'étaient pas forcément classés, avec des bouts de lettres dispersés. De plus, des lettres contenaient parfois des informations inexactes ajoutées par la famille au fil des ans, que ce soit une date ou le nom d'un enfant qui venait de naître.»
De ces missives, Claudie Maynard retient surtout la profonde amitié qui liait les deux hommes. «À part durant une très courte période, ils se sont écrits régulièrement, de 1889 jusqu'à la mort de Paul Sérusier en 1927. C'est une correspondance soutenue à laquelle il manque sans doute des lettres.»
Si l'apport de Maurice Denis comme théoricien est bien connu aujourd'hui, cette recherche montre le rôle joué par son acolyte, avec qui il collaborait notamment pour l'écriture de ses articles. «Maurice Denis est l'un des plus grands critiques d'art de son époque. Dans les lettres, on sent toute l'importance qu'il donnait à l'opinion de Sérusier. Une relation maître-élève s'était installée. Comme dans n'importe quelle amitié, elle ne sera pas toujours bien vécue. Il y a eu des jours de beau temps comme des jours d'orage dans leur relation», explique l'étudiante.
Retour aux sources pour terminer sa recherche
Grâce à deux bourses octroyées par la Fondation Famille Choquette à l'Université Laval et le Consulat général de France à Québec, Claudie Maynard est de retour en France pour finaliser sa thèse de doctorat. Pour les huit prochains mois, elle sera à Châteauneuf-du-Faou. C'est là, dans cette petite ville de la Bretagne, que Sérusier a vécu les 25 dernières années de sa vie.
En plus de travailler sur sa thèse, Claudie Maynard contribuera aux recherches entourant l'inauguration du Musée Sérusier, prévue l'été prochain. «Je me sens extrêmement privilégiée d'être dans ce lieu inspirant où l'on retrouve sa maison et les paysages qu'il a peints. Le Musée Sérusier était un projet attendu. Mon séjour sera l'occasion de collaborer à l'ouverture de ce musée et de contribuer à la reconnaissance de Sérusier», dit l'étudiante, impatiente de mettre la main à la pâte.