Abénakis, Anishinabe, Atikamekw, Eeyou Istchee (Cri), Huron-Wendat, Innu, Inuit, Kanyen’kehà:ka (Mohawk), Mi’gmaq, Naskapi, Wolastoqiyik (Malécite): autant de peuples autochtones qui habitent le très vaste territoire québécois. Autant de cultures aussi, et de visions du monde, de spiritualités, de liens viscéraux à la Terre-Mère, de blessures et d’espoirs sur lesquels la plupart des Québécois connaissent fort peu de choses.
C’est dans un esprit de rapprochement, de dialogue, de meilleure connaissance et de meilleure compréhension entre les Premiers Peuples du Québec et la population québécoise que débute le jeudi 19 septembre une nouvelle et remarquable exposition à l’Université Laval: 11 mots, 11 Premiers Peuples. Laissez-nous raconter notre territoire. Présentée pendant un an au premier étage de la Bibliothèque au pavillon Jean-Charles-Bonenfant, l’exposition est le fruit d’efforts du personnel de la Bibliothèque et de différents partenaires, soit le Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones, le Cercle des Premiers Peuples de l’Université Laval et Terre innue, une société de production autochtone de Wendake.
«Nous venons de créer quelque chose de significatif», affirme la co-commissaire et muséologue Marie-Kim Gagnon, qui a travaillé dans ce dossier avec la co-commissaire Moïra Ashini, de la communauté innue. «L’idée vient de la Bibliothèque poursuit-elle. Nous nous sommes basés sur le balado Laissez-nous raconter: l’histoire crochie de Terre innue. Le Cercle, lui, nous a fourni les contacts et transmis les connaissances qui nous ont permis de parcourir le territoire, rencontrer des Autochtones, créer des liens, entrer en dialogue, les faire parler, recueillir leurs témoignages qui parlent d’eux et de leur histoire, et emprunter des objets pour l’exposition.»
Selon elle, le nom de l’exposition est «très fort». «Celle-ci, dit-elle, permet de connaître la réalité des Premiers Peuples, l’histoire qu’ils ont vécue de leur point de vue, et non du point de vue colonial des conquérants pendant quelques siècles. Les Autochtones qui prennent la parole, en s’appuyant sur 11 mots clés caractéristiques de leur histoire, établissent un lien étroit de collaboration avec le visiteur québécois dans le but de défaire les préjugés. On marche main dans la main. L’exposition n’est pas un monologue, mais un dialogue sur une autre conception de l’histoire.»
Le territoire comme fil conducteur
La co-commissaire tient à souligner le travail du designer Régis Pilote et du graphiste Alain Chouinard, qu’elle qualifie d’exceptionnel. Dans cet espace rectangulaire, 11 panneaux correspondant aux 11 mots clés forment un demi-cercle, un monde circulaire où tout est interrelié. La lumière est tamisée et les couleurs sont nuancées et changeantes. Textes et photos agrémentent la partie haute des panneaux, alors que différents objets traditionnels occupent les caissons constituant la partie basse. Les textes sont autant de témoignages écrits venant de prêteurs d’objets de différentes nations. D’autres proviennent de la collection de l’Université Laval.
«Le fil conducteur de l’exposition est le territoire, indique-t-elle. On le retrouve comme toile de fond des panneaux par lequel on traverse les saisons.»
Les panneaux créent une trame narrative qui commence par le mot «découverte» et qui se termine par le mot «réconciliation». Les neuf autres mots sont, dans l’ordre, «sauvage», «Indian time», «Pocahontas», «bannique», «Dieu», «noms de famille», «obéir», «réserve» et «école».
«Les 11 mots clés ont été abordés dans le balado de Terre innue, explique Marie-Kim Gagnon. Ces mots ont été détournés de leur sens originel par des siècles de colonisation, comme “sauvage” ou “réserve”, des mots très sensibles. On a mis le mot “sauvage” au début, après le panneau “découverte”. C’est le stéréotype. On ne pouvait pas passer à côté de ce mot qui fait mal. Mais on voit certains peuples se le réapproprier.»
À l’origine, ce mot signifiait «naturel, libre, pur», celui qui vit dans la nature avec la nature, en communion avec la Terre-Mère.
Spiritualité, obéissance, réconciliation
Au fil des panneaux, le visiteur découvre l’expression Indian time, qui signifie de manière péjorative «être en retard comme les Indiens». Cette expression correspond à une façon de vivre, à une temporalité qui ressemble au rythme naturel du corps, qui s’harmonise à celui des saisons.
Un panneau est consacré à Pocahontas, une jeune Autochtone du 17e siècle associée aux débuts de la colonisation anglaise sur le continent. «Après le tableau réconciliation, celui-ci vient particulièrement me chercher en terme de féminisme, entre autres», soutient Marie-Kim Gagnon.
Les femmes ont toujours joué un rôle important chez les peuples autochtones. Après l’imposition du système patriarcal, elles reprennent maintenant la place qui leur revient: celle de protectrices des générations futures.
Le panneau qui aborde la spiritualité autochtone traditionnelle présente une vision du monde en cercle où tout coexiste en interrelation avec le Grand Tout. Une spiritualité qui se situe bien loin de la doctrine pyramidale et hiérarchique de l’Église catholique avec son Dieu vengeur et punitif.
Le panneau «obéir» met en lumière l’inexistence de ce mot dans les langues autochtones. Avant la colonisation, il était impensable de se soumettre aux autres ou de donner des ordres. Les décisions étaient prises en groupe. «Ce mot très fort vient toucher beaucoup d’éléments dans l’histoire autochtone, comme obéir aux autorités religieuses et gouvernementales», souligne-t-elle.
En guise de conclusion, les auteurs de l’exposition posent deux questions. Premièrement, pourquoi ne pas redéfinir ensemble les 11 mots dont le sens a été détourné au fil du temps? Deuxièmement, pourquoi ne pas écrire ensemble les pages de notre histoire collective?
Juste avant, le panneau consacré à la réconciliation amène le commentaire suivant de la co-commissaire. «Pour moi, ce mot est très fort, explique-t-elle. Il est lourd de sens parce qu’il a comme prémisse des siècles de domination. On connaît les réserves. On connaît les pensionnats. À partir de là, est-ce que les peuples autochtones sont prêts pour une réconciliation avec le peuple québécois, et vice-versa? Est-ce qu’on est rendus là collectivement? Ce panneau apporte une réflexion sur nous, sur nos préjugés, mais aussi sur la société en général.»