D'une personne à l'autre, la dépression peut prendre différents visages. Pour certains, la dominante est l'absence totale de motivation. Pour d'autres, c'est un profond désespoir, une fatigue abyssale, des problèmes cognitifs récurrents ou des troubles du sommeil invalidants. L'existence de ces différents profils de dépression pourrait être liée à des altérations qui touchent de façon distincte trois circuits neuronaux émanant d'une petite région du cerveau appelée habénula latérale, suggère une étude qu'une équipe de l'Université Laval vient de publier dans The Journal of Neuroscience.
«On savait que l'habénula latérale est hyperactive chez les personnes qui souffrent de dépression, mais on ignorait comment cela se manifestait au niveau des circuits neuronaux», souligne le responsable de l'étude, Christophe Proulx, professeur à la Faculté de médecine de l'Université Laval et chercheur au Centre de recherche CERVO.
Pour faire la lumière sur cette question, l'équipe de recherche a étudié les changements qui surviennent dans le cerveau de souris soumises à un stress chronique causé par l'intimidation sociale. Pendant 10 jours, à raison de 5 minutes par jour, ces souris étaient placées individuellement dans la même cage qu'une souris agressive.
«C'est l'équivalent d'un adolescent qui est quotidiennement victime d'intimidation à l'école ou d'une personne au travail qui est régulièrement la cible de paroles ou de comportements blessants de la part de son patron, explique le professeur Proulx. Le stress émotionnel et psychologique est l'un des principaux facteurs qui déclenchent les épisodes de dépression.»
Les chercheurs ont concentré leurs travaux sur l'habénula latérale «parce que c'est un pivot entre plusieurs régions du cerveau et qu'elle joue un rôle clé dans l'intégration des signaux sensoriels et des émotions, précise le professeur Proulx. On la décrit parfois comme un centre d'antirécompense parce qu'elle génère des signaux aversifs qui favorisent l'ajustement des comportements et l'apprentissage.»
Grâce à des enregistrements électrophysiologiques ainsi qu'à des techniques d'optogénétique et de marquage neuronal, les chercheurs ont étudié comment l'exposition à un stress chronique modifiait trois circuits neuronaux de l'habénula latérale. «Nos analyses indiquent que chez les souris vulnérables à l'intimidation sociale, le stress chronique induit des changements dans la transmission synaptique qui diffèrent selon le circuit considéré. Cela suggère que ces circuits jouent des rôles distincts dans l'apparition et dans la progression des différents symptômes dépressifs.»
Cette découverte de nature fondamentale pourrait avoir des retombées cliniques, poursuit le chercheur. «Par exemple, il est possible qu'un symptôme comme l'absence de motivation soit lié à un changement précis qui survient dans l'un des trois circuits neuronaux de l'habénula latérale. Si c'est le cas, on pourrait traiter les patients dont la motivation est fortement affectée à l'aide de molécules qui ciblent spécifiquement ce circuit neuronal. On pourrait ainsi en arriver à des traitements plus individualisés et mieux adaptés au dysfonctionnement particulier de chaque patient.»
L'étude parue dans The Journal of Neuroscience est issue des travaux de doctorat de Jose Cesar Hernandez Silva. Les autres signataires de l'article scientifique sont Nikola Pausic, Arturo Marroquin Rivera, Benoit Labonté et Christophe Proulx.