Le mardi 13 février, au Cercle du pavillon Alphonse-Desjardins, les professeurs Marc-André Bodet et Éric Montigny, du Département de science politique de l’Université Laval, ont participé à une table ronde sur le thème du financement des partis politiques au Québec. Ils étaient accompagnés du professeur Jean-François Godbout, du Département de science politique de l’Université de Montréal, et de la professeure Caroline Le Pennec, du Département d’économie appliquée de HEC Montréal. La rencontre, qui a attiré environ 200 personnes, était organisée par la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval.
Au mois d’octobre dernier, Élections Québec publiait un document de consultation intitulé Pour une nouvelle vision de la Loi électorale. Cette loi date de près de 35 ans. La consultation aborde six thèmes, dont le financement.
Rappelons qu’en 2013, une réforme du financement des partis politiques au Québec est entrée en vigueur. Le projet de loi avait été présenté par le ministre péquiste Bernard Drainville. Cette réforme prévoyait le plafonnement à 100$ le montant du don partisan par électeur. Jusque-là, le plafond avait été de 1000$. Le montant de 100$ était calculé sur la moyenne des dons que recevait le Parti québécois.
Cela dit, aujourd’hui, 80% des contributions aux partis politiques proviennent de l’État et sont proportionnelles à la part de voix reçues aux élections. Avant la réforme, c’était 30%. En 2022, 10,6 millions de dollars de fonds publics ont ainsi été versés aux représentants officiels des partis politiques provinciaux.
Une avancée démocratique indéniable
D’entrée de jeu, le professeur Marc-André Bodet a qualifié d’indéniable l’avancée démocratique que représente la réforme Drainville. «La constitution du Parti québécois et sa prise du pouvoir dans les années 1970 ont amené des changements subséquents qui ont vraiment transformé le fonctionnement des partis politiques au Québec», rappelle-t-il. Selon lui, le financement politique est une question très importante. «Bizarrement, ajoute-t-il, cette question est envisagée comme moins importante que la réforme du mode de scrutin.»
Selon le professeur, on peut espérer que, par ce mécanisme de concentration des ressources publiques, on évite l’entrée d’acteurs qui sont aux extrêmes du spectre politique. «Ce peut être vu positivement, dit-il. Mais cela peut aussi scléroser le système et permettre aux acteurs déjà dans la machine d’en profiter.»
Selon lui, les partis doivent trouver une zone qui permette à la fois une participation à l’interne des membres et un sentiment d’engagement. «Ce sentiment, soutient-il, doit permettre aux partis d’être davantage que des agents de l’État. Parce que c’est un peu vers ça qu’on s’en va quand 80% du financement est associé à du financement public.»
Les cocktails de financement de la Coalition Avenir Québec sont en ce moment sur la sellette. «On est au milieu d’un mini-scandale, souligne le professeur Bodet. Ce qui est en jeu, ce sont les contributions individuelles et l’influence qu’elles peuvent avoir sur les élus. Cent dollars sont insuffisants, notamment pour permettre aux nouveaux partis politiques et pour ceux en place d’offrir une activité partisane suffisante. Le débat devrait se faire sur une augmentation de ces montants individuels, plutôt qu’une élimination ou une réduction. Pour moi, ce n’est pas un problème d’influence, mais de valeurs démocratiques et d’accès.»
Un laboratoire en science politique
Durant son exposé, Éric Montigny a rappelé que le Québec a connu non pas une mais deux réformes du système de financement des partis politiques, la seconde étant celle de la loi électorale fédérale. «Au fédéral, explique-t-il, la loi a aboli le financement étatique. Au Québec, on a fonctionné en sens inverse, faisant croître de façon importante le financement public. La population québécoise est devenue un vrai laboratoire en science politique sur les deux réformes, celles-ci ayant des effets institutionnels majeurs et différents. Au Québec, on a assisté à une baisse des dons et à une baisse des activités de financement.»
Selon le professeur, chacun des partis fonctionne selon ses propres intérêts et met au point des stratégies différentes de financement. Une étude qu’il a réalisée révèle que les partis politiques établis sont plutôt satisfaits du système actuel de financement et ne veulent pas revenir en arrière, alors que les plus petits partis ont plus de difficulté à émerger dans ce contexte. «Le système de financement évolue, alors que le militantisme connaît un déclin général, poursuit-il. Ce phénomène s’observe partout.»
Une situation comparable au Royaume-Uni
Dans sa présentation, Jean-François Godbout a comparé la situation du Québec à celle du Royaume-Uni. «Aujourd’hui, dit-il, plus de 75% du financement à même les fonds publics est assumé par les contribuables québécois, une situation comparable à ce qui prévaut au Royaume-Uni et en Espagne. La plupart des démocraties ont un financement de leurs partis politiques à la fois étatique et populaire.»
Dernièrement, le premier ministre François Legault a exprimé la volonté de mettre fin au financement partisan. «Est-ce une bonne idée? demande le professeur Godbout. Plusieurs pays ont des mesures efficaces pour limiter les contributions individuelles. Cela réduit l’influence des grands donateurs. Le danger est que cela peut éloigner les partis de leurs membres. C’est une question complexe dont l’équilibre reste à trouver. Interdire le financement privé ne serait pas une bonne idée.»
L’exposé de Caroline Le Pennec portait sur le financement du système politique américain. Elle a d’abord demandé s’il était vrai que les élus sont influencés par les gens qui leur donnent de l’argent. Deuxièmement, est-ce que l’argent va avoir des effets sur le résultat des élections, va changer potentiellement l’identité des élus? Troisièmement, quel est le type de régulation que l’on peut mettre en place si on souhaite réguler le financement de la politique?
«Pour le premier volet, indique-t-elle, il est très difficile de répondre parce que, de manière générale, on ne peut pas identifier l’effet causal des contributions de campagne sur le comportement des élus.»
Il y a quelques années, une étude a montré que les membres du Congrès américain étaient trois à quatre fois plus susceptibles d’accepter de rencontrer les membres d’une association si on leur signalait à l’avance que cette association avait contribué à leur campagne de financement.
«Plus on dépense, soutient-elle, plus on risque d’affecter le résultat d’une élection. Il est donc important de réguler le financement politique par des mesures, comme le plafonnement des dépenses, s’assurer qu’un candidat ne puisse dépenser de manière disproportionnée et plus que les autres. D’autres types de mesures consisteraient à limiter les dépenses ou les contributions, ou à limiter le financement public des partis politiques et des campagnes électorales.»