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Au Québec, 15,4% des enfants passant par les services de la Direction de la protection de la jeunesse sont Autochtones, alors qu'ils représentent 2% de la population infantile. Par ailleurs, la province fait face à une pénurie de familles d'accueil autochtones. Pour une première fois, une équipe de recherche menée par l'Université Laval se penche sur l'expérience de ces milieux d'accueil dans le but de comprendre leurs motivations, leurs défis et les facteurs pour faciliter leur rôle et améliorer leur recrutement.
«La première motivation, c'est vraiment la préservation de l'identité culturelle. Les familles d'accueil autochtones vont s'engager auprès des enfants pour qu'ils puissent maintenir un lien avec leur famille d'origine, avec leur culture, avec leur langue, avec leur communauté et avec le Territoire», a indiqué Lisa Ellington, en présentant les résultats préliminaires de ses travaux de recherche au colloque annuel du Centre de recherche Jeunes, familles et réponses sociales de l'Université Laval.
En citant d'autres études, la professeure à l'École de travail social et de criminologie souligne que les jeunes autochtones placés dans des familles non autochtones peuvent vivre une perte d'identité culturelle, des problèmes de santé mentale et des difficultés relationnelles à l'âge adulte, malgré un milieu bienveillant. En contrepartie, la littérature sur le sujet montre que les familles d'accueil autochtones sont mieux adaptées à leurs besoins, qu'elles offrent un soutien plus naturel, tout en respectant le droit de l'enfant à préserver sa culture.
Le 9 février, au lendemain de sa présentation, la professeure Ellington a d'ailleurs salué la décision de la Cour suprême sur la loi qui reconnaît le droit des Premières Nations, des Inuits et des Métis à déterminer leurs pratiques en matière de protection de l'enfance, contestée par le gouvernement du Québec sur des questions de compétences fédérales et provinciales.
«La loi fédérale C-92 établit un ordre de priorité de placement pour les enfants, d'abord auprès des membres de leur famille, ensuite au sein d'une famille d'accueil autochtone, explique-t-elle. La Cour suprême a décidé que cette loi fédérale en protection de l'enfance est constitutionnelle, donc toutes les normes et tous les principes qui en découlent s'appliquent au Québec, comme ailleurs au Canada, en toutes circonstances. Ça vient renforcer cette idée que la continuité culturelle, c'est vraiment important pour les enfants. Ça confirme aussi que les communautés peuvent développer leur propre loi autochtone et leurs propres systèmes d'aide à l'enfance et à la famille, ce qui est une excellente nouvelle.»

La professeure Lisa Ellington
— Yan Doublet
Plonger au cœur de 39 familles d'accueil autochtones
Pour mener ses travaux, Lisa Ellington a fait des entretiens avec 39 familles d'accueil de plusieurs nations. Certaines étaient en communauté ou en village, d'autres en milieu urbain, et les entrevues se sont déroulées en français, en anglais et en inuktitut, avec des interprètes de l'équipe Nunavimmi Ilagiit Papatauvinga pour les contacts en milieu inuit.
La professeure a relevé que «plusieurs participants ont proposé d'intégrer le milieu familial de l'enfant en présence des parents, pour éviter de le déraciner et qu'il soit déplacé». Elle a d'ailleurs rapporté les propos de Metshu, d'une famille d'accueil innue: «C'est mon petit-fils la priorité. C'est lui qui doit rester à la maison. Il a besoin d'une place stable, alors c'est moi qui ai déménagé pour m'occuper de lui».
Les personnes interrogées ont témoigné qu'elles voulaient non seulement jouer un rôle pour les enfants, mais aussi pour les parents à titre de mentors, pour encourager la réintégration familiale, a soulevé la professeure durant sa conférence. «L'engagement des familles d'accueil va beaucoup dépendre du processus de guérison des parents.»
Plusieurs participants ont manifesté le désir de donner au suivant, poursuit la professeure Ellington. «La majorité des personnes que j'ai rencontrées avaient eu des contacts de près ou de loin avec la protection de la jeunesse dans leur enfance. Certaines veulent donner ce qu'elles n'ont pas reçu étant jeunes, parce qu'elles n'étaient pas dans un environnement optimal. Alors que d'autres vont avoir eu des modèles de familles d'accueil bienveillantes dans leur parcours, ou leurs propres parents ont été famille d'accueil, ce qui leur a donné envie de le devenir à leur tour.»
L'engagement des participants dépendait aussi beaucoup du choix de l'enfant, a constaté la chercheuse. «Ces motivations à devenir ou à rester familles d'accueil sont très collées aux conceptions autochtones de la famille, analyse-t-elle. L'idée que les enfants n'appartiennent pas aux parents, mais qu'ils s'appartiennent et peuvent faire des choix, le fait qu'ils ont plusieurs donneurs de soins, la conception de la communauté comme une grande famille pour la garder unie, la responsabilité collective à l'égard des enfants, les rôles des uns et des autres qui se superposent sans se remplacer, tout ça rejoint les valeurs autochtones de respect, d'entraide et de partage.»
Or, tout n'est pas rose, dit-elle. Ses travaux ont permis de soulever les défis auxquels font face ces familles d'accueil. Elle a perçu que les règles strictes de la protection de la jeunesse entourant les contacts parents-enfants amènent leur lot de frustrations, alors que les familles d'accueil autochtones estiment ces contacts essentiels. Les participants à la recherche déplorent un manque de soutien dans le processus, autant pour les parents que pour eux-mêmes, qui accueillent souvent les enfants dans un contexte d'urgence. Un autre enjeu qui a émergé des entretiens est lié à l'habitation, au manque de logement et de chambres dans les communautés pour accueillir les jeunes. Les critères pour être famille d'accueil sont nombreux et les démarches sont complexes, mentionne la professeure.
Des pistes pour améliorer le recrutement et la rétention des familles
Parmi ses recommandations, Lisa Ellington croit qu'il est important de «prendre le temps d'écouter les familles d'accueil» lorsqu'elles sont évaluées, quand elles expriment leurs besoins pour accompagner l'enfant. «Quand elles font des propositions, ça fonctionne mieux dans les communautés autochtones, avec des intervenants autochtones, que lorsqu'on en sort. Elles se sentent davantage comprises et écoutées.»
La professeure ajoute qu'il faut «comprendre que les familles d'accueil autochtones ont des manières différentes de voir leur rôle, en laissant beaucoup de place à l'enfant». Elle estime aussi que le système doit se transformer, «pour que ces familles d'accueil aient envie de le rester dans le temps». Elle suggère de s'inspirer des pratiques qui se font dans les communautés pour les familles d'accueil qui sont en milieux urbains, avec des intervenants non autochtones.
Lisa Ellington dirige ce projet de recherche réalisé avec Christiane Guay, de l'Université du Québec en Outaouais. Elles avaient comme partenaires le Conseil des Atikamekw d'Opitciwan, la communauté innue de Uashat mak Mani-Utenam, la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, Nunavimmi Ilagiit Papatauvinga et le Centre d'amitié autochtone de Québec.