Dix-huit milliards. Voilà le nombre de paires de bases d'ADN – les blocs de construction des gènes et des génomes – qu'ont dû séquencer des chercheurs de l'Université de la Colombie-Britannique, de l'Université Lakehead et de l'Université Laval pour décoder le génome entier de l'épinette noire. Les détails de cette première mondiale font l'objet d'un article scientifique qui vient de paraître dans la revue G3 Genes, Genomes and Genetics.
«C'est un gigagénome, 6 fois plus long que le génome humain. Il contient environ 35 000 gènes confirmés et un nombre presque aussi élevé de gènes candidats. Cette avancée aura des répercussions sur le terrain parce que l'épinette noire est l'espèce la plus utilisée en reboisement au Canada. Au Québec seulement, environ 70 millions de plants d'épinette noire sont mis en terre chaque année», rappelle l'un des auteurs de l'étude, Jean Bousquet, du Département des sciences du bois et de la forêt, du Centre d'étude de la forêt et de l'Institut de biologie intégrative et des systèmes de l'Université Laval. Une collègue de son équipe, la physiologiste bio-informaticienne Nathalie Pavy, compte aussi parmi les signataires de l'étude.
L'épinette noire est le conifère qui a le plus grand spectre d'adaptation au niveau écologique en Amérique du Nord, poursuit le professeur Bousquet. «C'est la première espèce d'arbre qui a recolonisé nos régions à la fin de la dernière glaciation. C'est aussi l'espèce qui a la plus grande distribution géographique et nordique sur le continent. On la retrouve dans la forêt boréale et dans la toundra, depuis l'Alaska jusqu'à Terre-Neuve. Elle est aussi présente dans les tourbières situées dans la partie sud du pays.»
En comparant le génome de l'épinette noire au génome d'autres espèces d'arbres, les chercheurs ont relevé un fait particulier. «L'épinette noire possède environ 1000 gènes qui lui sont exclusifs ou qui évoluent très rapidement par rapport à ceux d'autres espèces, souligne le professeur Bousquet. La plupart de ces gènes sont reliés à des mécanismes cruciaux de croissance, de survie et de résistance aux stress biotiques, tels que les insectes et les maladies, et aux stress abiotiques, tels que les conditions climatiques. Ces gènes sont le reflet d'adaptations à des conditions environnementales changeantes et souvent extrêmes auxquelles l'espèce a été confrontée durant sa longue histoire.»
Considérant les changements climatiques en cours, la connaissance approfondie du génome de l'épinette noire est devenue un précieux atout pour assurer l'avenir des forêts canadiennes, estime le professeur Bousquet. «Nous avons utilisé les informations issues du séquençage du génome de cette espèce pour développer un nouvel outil de génotypage couvrant 25 000 gènes. On l'utilise déjà pour établir le profil génotypique de milliers d'épinettes noires et pour prédire, à l'aide de modèles génétiques indicatifs de l'adaptation au climat, comment elles se comporteront sous différentes conditions environnementales. Cet outil permettra donc de court-circuiter les longues décennies d'évaluation au champ et de choisir, dès le stade de très jeunes semis, les variétés destinées au reboisement qui seront les mieux adaptées aux conditions locales, actuelles ou futures.»