NDLR. Le 26 août 2024, la revue Biomedicine & Pharmacotherapy annonçait qu’elle retirait cette étude scientifique en raison de problèmes méthodologiques.
Pendant la première vague de la pandémie, l'administration d'hydroxychloroquine à des patients hospitalisés en raison de la COVID-19 aurait entraîné le décès d'au moins 17 000 personnes dans 5 pays d'Europe et aux États-Unis. Voilà l'estimation à laquelle arrive une équipe de chercheurs de l'Université de Lyon et de l'Université Laval au terme d'une analyse dont les détails viennent de paraître dans la revue Biomedicine & Pharmacotherapy.
«Comme l'hydroxychloroquine a été largement utilisée dans de nombreux autres pays, notamment en Inde et dans plusieurs pays d'Amérique du Sud, notre estimation n'est que la pointe de l'iceberg», souligne Steeve Provencher, professeur à la Faculté de médecine de l'Université Laval, pneumologue à l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) et chercheur au Centre de recherche de l'IUCPQ.
Rappelons que pendant la première vague de la pandémie de COVID-19, le personnel soignant ne disposait d'aucun médicament pour traiter les patients en état critique. «Plutôt que de laisser les patients mourir sans rien tenter, il y a eu un recours compassionnel à certains médicaments homologués à d'autres fins, notamment à l'hydroxychloroquine, explique le professeur Provencher. Ce médicament est habituellement prescrit pour traiter certaines formes d'arthrite et de lupus de même que la malaria. Des essais in vitro avaient montré qu'il pouvait ralentir la réplication virale. De plus, quelques études sur un petit nombre de patients atteints de COVID-19 suggéraient qu'il pouvait avoir une certaine efficacité. C'est dans ce contexte que l'hydroxychloroquine a été repositionnée pour traiter la COVID-19.»
On connaît la suite. En octobre 2020, une première étude randomisée portant sur plus de 1500 patients rapportait que le médicament ne diminuait pas la mortalité. «Malgré cette démonstration, le recours à l'hydroxychloroquine a continué d'être ouvertement encouragé par certains scientifiques et politiciens», rappelle le professeur Provencher. Une méta-analyse publiée en avril 2021 allait convaincre une bonne partie des médecins qui utilisaient encore le traitement: l'hydroxychloroquine était non seulement inefficace, mais elle augmentait le risque de mortalité de 11%.
À l'initiative de Jean-Christophe Lega, diplômé de l'Université Laval (2010) et professeur à l'Université de Lyon, un groupe de chercheurs, incluant le professeur Provencher, a voulu chiffrer le nombre de décès causés par le recours à l'hydroxychloroquine pendant les premiers mois de la pandémie. Pour ce faire, ils ont utilisé des informations provenant de 44 études, publiées entre décembre 2019 et mars 2021, ainsi que des données nationales en santé.
Leur estimation du nombre de décès, qui touche les 6 pays pour lesquels des informations fiables étaient disponibles, va comme suit: 95 en Turquie, 199 en France, 240 en Belgique, 1822 en Italie, 1895 en Espagne et 12 739 aux États-Unis. «Le total approche 17 000, ce qui peut sembler peu comparé au nombre de décès causés par la pandémie, mais il faut garder à l'esprit qu'il s'agit d'une surmortalité, c'est-à-dire de personnes dont la mort est vraisemblablement attribuable à l'administration d'hydroxychloroquine.»
Le professeur Provencher reconnaît que les estimations présentées dans l'étude sont imparfaites, mais le message principal est autre. «Ce qu'il faut retenir est que le repositionnement de médicaments est risqué lorsqu'il ne s'appuie pas sur des preuves solides. Le recours compassionnel à l'hydroxychloroquine pouvait se défendre pendant les premiers mois de la pandémie, mais pas après la parution des premières études démontrant son inefficacité. Même en temps de pandémie, il faut continuer de baser nos décisions sur des données probantes.»