La pratique régulière d’un sport est reconnue comme n’ayant que des effets positifs sur la santé mentale et physique des enfants et des adolescents. Malheureusement, cette activité peut tourner au cauchemar pour certains d’entre eux, garçons ou filles, en raison de comportements inappropriés de la part de leur entraîneur sportif, des comportements pouvant aller jusqu’aux abus sexuels. Jusqu’à présent, la recherche universitaire s’était peu intéressée à ce phénomène. Les quelques rares études sur le sujet se limitaient à un seul aspect du mode opératoire de l’entraîneur abuseur, celui qui consiste à gagner la confiance du jeune athlète. Or, en 2022, les connaissances en ce domaine ont connu une avancée majeure avec la publication, dans la revue savante Frontiers in Psychology, d’un article identifiant pour la première fois toutes les étapes du mode opératoire d’entraîneurs sportifs canadiens ayant conduit à des abus sexuels envers de jeunes athlètes sous leur autorité.
«Lorsqu’on parle d’abus sexuels, on parle d’agressions sexuelles avec contact, des actes criminels aux yeux de la loi et qui, bien souvent, se traduisent par des impacts psychologiques négatifs chez la victime», explique l’auteure principale de l’article intitulé «Exploring the Modus Operandi of Coaches Who Perpetrated Sex Offenses in Canada», Élisabeth St-Pierre.
Cette recherche est basée sur l’analyse de plus de 2000 jugements de cour et d’articles de journaux concernant 120 cas d’abus sexuels commis par des entraîneurs sportifs canadiens à l’endroit de 331 athlètes, majoritairement des garçons, entre 1967 et 2020.
Les autres participantes à l’étude sont les professeures Sylvie Parent, du Département d’éducation physique, et Nadine Deslauriers-Varin, de l’École de travail social et de criminologie. La première est également titulaire de la Chaire de recherche sur la sécurité et l’intégrité en milieu sportif.
Élisabeth St-Pierre est aujourd’hui inscrite au doctorat sur mesure en criminologie et chargée de cours à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval. Pour son étude, elle a reçu, il y a quelques mois, le prix Relève étoile Paul-Gérin-Lajoie du Fonds de recherche du Québec – Société et Culture.
Une cinquantaine de stratégies
Dans les cas étudiés, les chercheuses ont identifié six étapes constituant le modus operandi des entraîneurs abuseurs. À l’intérieur de ces étapes, pas moins de 51 stratégies ont été utilisées. L’analyse des comportements avant, pendant et après les gestes commis indique que la plupart des entraîneurs abuseurs gagnent la confiance de l’athlète en établissant une proximité émotionnelle. Ils vont ensuite passer graduellement de touchers non sexuels à des touchers sexuels pour obtenir leur coopération dans les abus sexuels.
Le processus du mode opératoire commence habituellement par le ciblage d’une victime potentielle rendue vulnérable – par exemple, par ses relations tendues avec ses parents – ou pour des raisons de santé mentale. C’est ce qu’ont admis les entraîneurs abuseurs dans presque la moitié des cas. Pendant l’étape de gagner la confiance, les stratégies les plus fréquemment utilisées visaient à établir une proximité émotionnelle en devenant l’ami ou le confident de l’athlète et à manipuler ses parents en se liant d’amitié avec eux. Une autre étape consistait à rendre l’athlète dépendant de l’entraîneur. Un entraîneur sur trois faisait comprendre à sa victime qu’elle avait besoin de lui pour réussir.
L’étape d’isoler l’athlète a consisté, dans le tiers des cas, à l’emmener dans un endroit isolé, en dehors du site d’entraînement ou de son domicile, ou de l’emmener à son domicile pour des raisons sportives ou non. Pour obtenir la coopération du jeune pendant l’abus, près des deux tiers des entraîneurs ont graduellement passé de touchers non sexuels à des touchers de nature sexuelle. Les entraîneurs ont aussi normalisé la sexualité en faisant des allusions sexuelles ou en posant des questions sur la sexualité de l'athlète.
Pour maintenir le silence après l’abus, les deux tiers des entraîneurs n’ont pas eu recours à une stratégie particulière. Il faut mentionner que le silence s’étendait aux organisations sportives. Dans 25% des cas, ces organisations avaient été informées, formellement ou informellement, qu’il y avait eu abus sexuel. Or, elles n’ont pas déposé de plainte aux autorités policières.
Les stratégies des entraîneurs abuseurs différaient selon le genre de leurs victimes. À une fille, le coach lui fera sentir qu’elle est spéciale pour gagner sa confiance. Il échangera avec elle du matériel sexuellement explicite. Il lui fera une déclaration d'amour ou il sera dans une relation amoureuse avec elle pour obtenir sa coopération. Avec les garçons, les choses seront plus simples. L’entraîneur profitera du sommeil de l'athlète pour l’agresser sexuellement. Il pourra aussi l’inciter à un contact sexuel sous forme de jeu.
Des statistiques parlantes
L’analyse de l’échantillon révèle que 133 filles et 198 garçons ont été pour une première fois victimes d’abus sexuels de la part de leur entraîneur. Les athlètes avaient alors un âge moyen de 13,6 ans. Les entraîneurs, eux, avaient 33,6 ans en moyenne lors de ces premiers abus. Au fil des ans, 85,8% de ces adultes ont commis plus d’un événement d’abus. L’étude révèle une moyenne de 2,8 victimes athlètes pour chacun d’entre eux. Certains ont aussi fait des victimes en dehors du milieu sportif. La période de temps moyenne au cours de laquelle ces abuseurs ont agi s’élève à 5,8 ans. Enfin, il s’est passé en moyenne 14,1 années entre le premier abus sexuel subi par un jeune et le premier signalement aux autorités policières.
«Les cas étudiés couvrent environ 25 sports, souligne Élisabeth St-Pierre. Ce chiffre est important. Il montre que le phénomène ne se produit pas que dans quelques sports.»
Selon elle, les crimes ont eu lieu entre 1967 et 1999 dans un peu plus de la moitié des cas. «Nous avons fait des analyses entre 1967 et 1999, et entre 2000 et 2020, poursuit-elle. Les premières politiques de prévention sont apparues vers l’an 2000. À ce moment-là arrivaient l’ordinateur personnel, Internet et les réseaux sociaux. Un peu plus de la moitié des premiers abus ont eu lieu avant l’an 2000.»
Sur l’ensemble de la période étudiée, près des deux tiers des entraîneurs n’ont pas eu recours à une stratégie pour maintenir le silence de l’athlète après l’abus. «Dans notre étude, explique la chercheuse, certains athlètes ont évoqué pourquoi ils ou elles ont gardé le silence. Ils avaient honte, ils ne croyaient pas avoir été abusés ou ils craignaient de perdre leur sport ou l’attention de l’entraîneur.»
Dix pour cent des abus concernaient des athlètes de niveau international. «À ce niveau, suggère-t-elle, il est possible que les athlètes vont moins dévoiler les abus dont ils sont victimes parce qu’ils ont plus à perdre. Si on est au sommet de son sport, la possibilité de perdre son entraîneur et des commanditaires ne donne pas le goût de dénoncer. Certains athlètes ont dit: “J’étais prêt à tout pour aller aux Jeux olympiques”. Une fois leur carrière d’athlète terminée, ils vont avoir plus tendance à dévoiler ce qui s’est passé.»
Des recommandations judicieuses
Cette étude fournit des moyens spécifiques pour améliorer les politiques de prévention, la sécurité et le bien-être des athlètes. Il est notamment recommandé d’éduquer les athlètes et les parents au sujet des caractéristiques des abus sexuels en sport. Les chercheuses recommandent également de clarifier les limites de la relation entraîneur-athlète en décourageant les entraîneurs à passer du temps seul avec un athlète lors d’activités à l’extérieur du contexte sportif.
«J’ai présenté l’étude et nos recommandations au ministère de l’Éducation du Québec, indique Élisabeth St-Pierre. Le Ministère poursuit des travaux sur ce sujet en s’appuyant sur notre étude et celles de la Chaire de recherche sur la sécurité et l’intégrité en milieu sportif.»
Les trois chercheuses recommandent de déposer une plainte dès qu’il y a des motifs raisonnables de croire que des abus, du harcèlement, de la négligence ou de la violence se sont produits dans un environnement sportif. Les personnes concernées peuvent le faire par la plateforme Je porte plainte. Un bouton universel menant vers cette plateforme est présent sur le site Web de toutes les fédérations sportives du Québec, dont le Réseau du sport étudiant du Québec, et de certains partenaires. Il est aussi possible de communiquer avec Sport’Aide au 1 833 211-AIDE (4357).