
— Getty Images/Ale Ks
Une équipe de recherche vient de démontrer que des changements moléculaires qui surviennent dans le cerveau à la suite d'un stress postnatal ont des effets durables sur la propension à l'anxiété et la sensibilité à la douleur chez les souris qui ont vécu ce stress. Fait étonnant, ces changements sont aussi observés chez les descendants de ces souris, même s'ils n'ont pas été exposés à ce stress. Les détails de cette étude, codirigée par deux chercheurs du Centre de recherche CERVO, Marco Battaglia, de l'Université de Toronto, et Yves De Koninck, de la Faculté de médecine de l'Université Laval, viennent de paraître dans la revue Science Advances.
Pour faire cette démonstration, les chercheurs ont utilisé deux groupes de souris. Le premier, le groupe témoin, était formé de souriceaux qui, à leur naissance, avaient été laissés aux soins de leur mère. Dans le second groupe, les souriceaux d'une même portée passaient leur première journée de vie avec leur mère. Lors des trois journées suivantes, ils étaient successivement confiés à trois «mères adoptives» différentes. À partir de leur cinquième jour de vie, ils retrouvaient leur mère biologique.
«Nous n'avons observé aucune différence entre les deux groupes du côté des indicateurs de stress ni des soins dispensés aux souriceaux par les mères biologiques ou adoptives, signale le professeur De Koninck. Dans la mesure où nous pouvons en juger, le stress vécu par les souriceaux était léger. Néanmoins, ils en ont conservé des répercussions durables.»
En effet, une fois les souriceaux devenus adultes, les chercheurs les ont soumis à un test d'anxiété – on mesure leur rythme respiratoire dans un environnement où la concentration en CO2 est plus élevée que la normale – et à des tests de perception de la douleur. «Les souris du groupe adoption répondaient plus fortement (hyperventilation) au test du CO2 que les souris du groupe témoin. Elles étaient aussi plus sensibles aux stimuli de chaleur et de pression mécanique», rapporte Yves De Koninck.
La même série de tests a été réalisée chez les descendants de première et de deuxième génération de ces souris. «Même si ces souris n'avaient pas été séparées de leur mère à la naissance, leurs réponses aux tests d'anxiété et de douleur étaient comparables à ceux de souris exposées au stress postnatal», souligne-t-il.
— Yves De Koninck, au sujet de la propension à l'anxiété et de la sensibilité à la douleur chez l'humain
L'équipe de recherche est parvenue à cerner la cause du phénomène. «Dans les neurones de certaines régions du cerveau, il existe des récepteurs d'acidité, les ASIC, qui sont associés à la propension à l'anxiété et à la sensibilité à la douleur, explique le professeur De Koninck. Nous avons découvert que trois récepteurs ASIC étaient surexprimés chez les souris exposées au stress postnatal ainsi que chez leurs descendants. Cela est probablement dû à un mécanisme épigénétique qui favorise l'expression des gènes codant pour ces récepteurs. Ce mécanisme constitue la mémoire moléculaire du stress postnatal vécu par les souriceaux. Il subsiste jusqu'à l'âge adulte et il peut être transmis de façon non génétique à la descendance.»
Un phénomène réversible
Le rôle des récepteurs ASIC a pu être confirmé grâce à l'amiloride, un médicament prescrit pour traiter l'hypertension, l'insuffisance cardiaque et la cirrhose du foie. «L'amiloride bloque les récepteurs ASIC, les empêchant d'accomplir leurs fonctions, précise le professeur De Koninck. Une seule dose administrée par vaporisation nasale avant les tests suffit pour que les souris du groupe adoption retrouvent des niveaux de propension à l'anxiété et de sensibilité à la douleur comparables à ceux des souris du groupe témoin.»
Lorsqu'il est question de propension à l'anxiété ou de sensibilité à la douleur chez l'humain, on pense souvent à des interactions complexes entre de nombreux facteurs génétiques et environnementaux, poursuit le chercheur. «Sans nier la complexité de ces problèmes, ils s'expriment ultimement par des changements moléculaires dans le cerveau. Dans notre étude, une séparation maternelle temporaire à la naissance s'est répercutée sur des récepteurs d'acidité du cerveau qui sont impliqués dans la propension à l'anxiété et dans la sensibilité à la douleur. Ces changements moléculaires sont transmissibles à la descendance, mais ils sont aussi réversibles.»
Fait à noter, les récepteurs ASIC sont aussi présents dans le cerveau d'autres mammifères, notamment chez l'humain, souligne le professeur De Koninck. «Nous espérons maintenant poursuivre nos travaux en étudiant l'efficacité de l'amiloride pour traiter le trouble panique et certaines formes de sensibilité à la douleur chez l'humain.»
Les signataires de l'étude parue dans Science Advances sont Marco Battaglia, de l'Université de Toronto, Orlane Rossignol, Louis-Etienne Lorenzo, Jasmin Deguire, Antoine G. Godin, et Yves De Koninck, du Centre de recherche CERVO, et Francesca R. D'Amato, du Conseil national de la recherche d'Italie.