Le professeur Jean-Frédéric Morin enseigne au Département de science politique de l’Université Laval. Cet expert des questions environnementales a entrepris un ambitieux projet de recherche, il y a trois ans, sur la gouvernance de l’espace extra-atmosphérique de la Terre. Avec ses collaborateurs, la chercheuse postdoctorale Pauline Pic et le doctorant Philippe Evoy, il a constitué une vaste base de données dont l’étude commence à donner ses fruits. En septembre, le premier d’une série d’articles scientifiques était publié par la revue International Journal of the Commons.
«La plupart des chercheurs qui s’intéressent à l’espace proviennent des sciences et du génie, explique le professeur Morin. Je viens de la science politique. Souvent, les chercheurs de ma discipline intéressés par ce champ de recherche travaillent sur des aspects tels que la rivalité entre grandes puissances et la militarisation. Je ne suis pas du tout là. Mon intérêt pour l’espace est à travers l’idée du développement durable. Mon point d’entrée est la protection de l’environnement. Je m’intéresse tout particulièrement à la pollution de l’espace par des débris.»
La base de données des chercheurs est constituée d’un corpus de 1042 textes d’accords bilatéraux ou multilatéraux de diverses natures sur l’espace extra-atmosphérique. Cette zone, où gravite la flotte mondiale de satellites estimée à plus de 7000 objets, est située, selon la Fédération aéronautique internationale, à environ 100 kilomètres d’altitude entre l’atmosphère terrestre et l’espace proprement dit. Les accords qui composent le corpus ont été signés depuis les années 1960.
«Il y a plus de 50 ans, souligne le chercheur, les grands accords multilatéraux ont été conclus dans un contexte de guerre froide alors que très peu de pays avaient des capacités spatiales. Le contexte spatial présentait très peu d’intérêt. Très peu d’acteurs privés s’y intéressaient. Au fil des ans, les traités multilatéraux n’ont pas été modifiés. Il y a cependant eu une très grande activité bilatérale. Les agences spatiales ont conclu des accords entre elles, des arrangements variables dans leur degré de contraintes juridiques.»
Selon Jean-Frédéric Morin, cette période est un peu derrière nous. Il est presque illusoire aujourd’hui d’espérer voir un nouvel accord multilatéral qui rejoindrait les grands acteurs spatiaux que sont les États-Unis, la Chine et la Russie.
«La gouvernance est fragmentée, poursuit-il. Il y a toutes sortes d’acteurs spatiaux. Des pays africains ont leur propre agence spatiale. La compagnie SpaceX, qui détient plus de la moitié des satellites en orbite, est l’arbre qui cache la forêt. Les télécommunications, l’observation de la Terre, le positionnement, également l’identification des activités de pêche illégale en haute mer, l’amélioration des routes des navires ou la détection des sources de pollution atmosphérique sont des exemples d’utilisation des satellites. Il y a une industrie spatiale florissante. On trouve une diversité d’acteurs et d’accords, ce que documente notre base de données. Dans nos travaux, nous montrons que certains grands principes formulés dans les années 1970 sont parfois oubliés ou réinterprétés.»
Un bien commun comme les océans et l’Antarctique
En 1987, l’influente Commission Brundtland considérait l’espace extra-atmosphérique comme bien commun mondial et le plaçait sur le même pied que les océans et le continent antarctique. Le professeur Morin rappelle que le parallèle a été fait il y a longtemps avec les océans. «Pendant des siècles, dit-il, on a cru que les océans constituaient un espace géographique illimité. Pendant longtemps, on a pensé qu’on n’arriverait jamais à épuiser les ressources des océans ni à polluer ces immenses étendues d’eau, tellement leur volume est grand. On se rend bien compte aujourd’hui que c’était illusoire. Tranquillement, on fait le même constat pour l’espace. Jusqu’à tout récemment, on avait l’impression que l’espace était infini. En réalité, avec la prolifération rapide de satellites en orbite basse, on se rend compte que nous sommes en train de recréer les problèmes qu’on a créés dans les océans.»
Cela dit, la notion de bien commun mondial appliquée à l’espace extra-atmosphérique ne fait pas l’unanimité dans la communauté internationale. Elle manque aussi de clarté. Pour certains, reconnaître ce concept de manière officielle pourrait décourager l’investissement privé. Pour d’autres, cela pourrait avoir comme effet de ne pas promouvoir suffisamment la notion de durabilité.
Dans leur article, les chercheurs se sont penchés sur la manière dont les acteurs spatiaux utilisent le cadre du bien commun mondial dans leurs arrangements avec d’autres pays. Il en ressort que ce cadre est rarement utilisé dans les accords bilatéraux. Il est également absent la plupart du temps des projets récents d’accords proposés par des pays influents.
Selon les auteurs, la gouvernance de l’espace extra-atmosphérique est arrivée à un tournant. Une situation amenée, entre autres, par la prolifération rapide d’acteurs privés ayant des implications importantes dans l’usage juste et durable de l’orbite terrestre. «Un écosystème industriel se développe et se diversifie, affirme le chercheur. De plus en plus d’accords font la promotion des intérêts du secteur privé. Il existe une vraie relation de symbiose entre les secteurs public et privé dans l’espace. Ils vont de plus en plus l’un avec l’autre.» À cela s’ajoute la complication grandissante de la coopération entre les nations spatiales majeures. Cette coopération se trouve gênée par la rivalité de puissance et par la nature duale, à la fois civile et militaire, de la technologie spatiale.
Le Traité de l’espace
Parmi la panoplie de traités, le Traité de l’espace, signé en 1967, demeure à ce jour le plus important arrangement multilatéral sur la gouvernance de l’espace extra-atmosphérique. «Il est encore considéré comme l’équivalent d’une constitution pour l’espace, souligne Jean-Frédéric Morin. C’est le grand traité qui vient fixer les principes pas seulement de l’espace extra-atmosphérique de la Terre, mais aussi de la Lune et de tous les autres corps célestes.»
L’article 1 du traité stipule que l’espace est accessible à tous, et que l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique se font pour le bien et dans l'intérêt de tous les pays, peu importe leur degré de développement économique ou scientifique. L’espace est «l’apanage de l’humanité tout entière», à utiliser à des fins exclusivement pacifiques.
«On se rend compte que des problèmes en termes d’environnement et de durabilité se posent dès aujourd’hui pour l’orbite basse de la planète, mais plusieurs anticipent des problèmes pour l’exploitation des ressources sur les corps célestes comme la Lune et Mars, explique-t-il. Une des ressources sur la Lune pourrait être l’eau. On pense qu’il y a de la glace à cet endroit. Ce serait une ressource extrêmement précieuse pour faciliter l’installation d’une base lunaire, laquelle pourrait servir de point de départ pour aller sur Mars.»
Selon le professeur, personne ne rejette les grands principes de gouvernance spatiale adoptés depuis les années 1960. «Par contre, indique-t-il, il y a plusieurs façons de les interpréter. Plusieurs pays en développement n’ont pas la même interprétation qu’ont les États-Unis, par exemple. D’ailleurs, les Américains sont en train de diffuser leur propre interprétation du traité de 1967 en concluant des accords bilatéraux avec plusieurs pays dans le cadre des accords Artemis. Ce programme extrêmement ambitieux vise à ramener les humains sur la Lune.»