«Toute la terre devient désolation». Cet extrait de la Bible est tiré du Livre de Jérémie, un prophète de l’Ancien Testament. Il a servi de titre à une table ronde sur le thème de la théologie et l’écologie présentée en ligne le mercredi 4 octobre dans le cadre de la Semaine ULaval pour toujours. L’activité, organisée par la Faculté de théologie et de sciences religieuses, réunissait deux professeurs de la Faculté, Cory-Andrew Labrecque et Sébastien Doane, ainsi que Norman Lévesque, conseiller en communication scientifique chez Environnement et Changement climatique Canada.
«Nous avons choisi la date du 4 octobre pour deux raisons, explique le professeur Doane. Premièrement, il s’agit de l’anniversaire de la mort, en 1226, de saint François d’Assise, le saint patron de l’écologie qui avait un rapport direct avec la nature. Deuxièmement, le pape a publié le jour même Laudate Deum, une mise à jour de sa lettre encyclique de 2015, Laudato si’. Dans cette lettre, les catholiques étaient invités à vivre dans le respect de l’environnement. Laudate Deum, pour sa part, se veut un texte éminemment politique qui met la pression sur les participants à la COP 28 qui se tiendra début décembre aux Émirats arabes unis. Le pape n’y va pas avec le dos de la cuiller contre les climatosceptiques. Son argumentaire tient en six points et un seul a rapport à une conception plus religieuse des choses.»
Selon cet expert de la Bible, le livre sacré de plus de deux milliards de chrétiens n’est pas un manifeste écologique, mais il contient de nombreux passages sur le rapport de l’humain avec la nature. Dans son exposé, le professeur a mis l’accent sur des textes bibliques moins connus, ceux des prophètes, en particulier Jérémie, qui a vécu environ 600 ans avant Jésus-Christ. Il est passé à l’histoire comme celui qui a annoncé la prise de Jérusalem par l’armée de Babylone, l’exil de ses habitants et la dévastation du territoire. Il a notamment écrit:
«Tout le pays est dévasté.
«Je regarde la terre: elle est déserte et vide; le ciel: la lumière en a disparu.
«Je regarde: il n’y a plus d’hommes et tous les oiseaux ont fui.
«Je regarde: le pays des vergers est un désert, toutes les villes sont incendiées par le Seigneur, par son ardente colère.
«Ainsi parle le Seigneur: toute la terre devient désolation.
«C’est pourquoi la terre est en deuil.
D’autres prophètes ont aussi annoncé des désastres naturels. C’est notamment le cas d’Isaïe («La terre se dégrade, le monde entier dépérit […]; La terre a été profanée par ses habitants [...]») et d’Osée («À cause des imprécations, tromperies, assassinats, vols, adultères qui se multiplient et le sang versé, la terre prend le deuil. Les habitants s’étiolent, bêtes des champs et oiseaux du ciel, poissons de la mer disparaîtront.»).
«Ce qui est spécifique aux prophètes ce sont les récits de destructions guerrières, de villes détruites et abandonnées, d’environnements saccagés et d’une nature qui reprend ses droits, explique le professeur. L’archéologie révèle que le nombre d’habitants a chuté en Judée après l’exil. Jérémie nous parle dans son poème comme d’une “décréation”. Les humains ont fui, il ne reste plus rien. Un rapport à la nature est là.»
Relire les pages «vertes» de la Bible
Le jour précédant la table ronde, Sébastien Doane a fait parvenir le manuscrit d’un ouvrage à un éditeur. Six chapitres portent sur des textes bibliques peu étudiés, des textes qui contiennent des relations de toutes sortes à l’environnement.
Selon lui, les prophètes amènent à réfléchir. «Relire les pages “vertes” de la Bible, dit-il dans une précédente entrevue, permet d’instaurer un dialogue sur les enjeux écologiques.» Critiquant les postures anthropocentriques, celui-ci propose de s’identifier à la nature. Il insiste sur deux poèmes qui célèbrent les beautés de la nature. D’abord le Cantique des cantiques, où sont évoqués la colombe et la brebis, la pomme et le lis, le vin et le miel. Ensuite, le Cantique des créatures, attribué à saint François d’Assise, dans lequel ce dernier célèbre la Création avec ses «frères» le soleil et le feu, et avec ses «sœurs» la lune et l’eau.
Le professeur Doane rappelle que les prophètes vivent dans une société agraire où une très large partie de la population a un rapport direct avec la nature et les animaux. Lorsque survient une sécheresse, par exemple, et cela arrivait assez souvent en Judée, les gens en subissent directement les contrecoups.
En Jérémie, des liens unissent tous les êtres vivants dans leurs souffrances et leur deuil, souligne-t-il. Il parle de «trauma écologique». Il utilise le terme «géo-trauma» pour parler de «la souffrance de la Terre».
«Dieu est très présent dans les textes prophétiques, poursuit-il. Avoir cette perspective peut peut-être nous inciter à sortir de l’anthropocentrisme dans lequel l’humain se croit le maître de tout. Il faut essayer de relativiser cet anthropocentrisme de différentes façons.»
Selon le professeur, il faut voir ces textes très anciens, écrits dans un contexte culturel complètement différent du nôtre, comme une métaphore de dialogue, les nombreux livres qui composent la Bible proposant plusieurs perspectives différentes. «Il y a des ponts, affirme-t-il, qui peuvent être jetés par-dessus ce gouffre de quelques milliers d’années. Les questions existentielles, on les retrouve dans la Bible, que ce soit au sujet de la mort, des catastrophes naturelles, de Dieu. Ces questions intemporelles nous permettent d’entrer en dialogue sur des aspects qui nous intéressent et qui intéressaient aussi les auteurs des livres bibliques.»
Sébastien Doane rapproche le travail des prophètes bibliques de celui d’une activiste écologiste comme Greta Thunberg. «Peut-être que l’important est de dénoncer ce qui ne va pas, avance-t-il, de prendre la parole. Attention: voici ce qui s’en vient! Elle dit: “Notre maison est en feu, je veux que vous réagissiez. Il faut faire quelque chose et susciter un agir maintenant!” Dans l’Ancien Testament, il y a plein de paroles de ce genre. Chez les prophètes, l’important n’est pas seulement de transmettre le message divin. C’est aussi de susciter un changement d’agir pour aller vers quelque chose qui serait éthiquement meilleur.»