
La Chambre du Sénat, dans l’édifice du Centre actuellement en rénovation. Dans cette chambre haute de la démocratie parlementaire au Canada, 105 sénateurs examinent les projets de loi de la Chambre des communes.
— Sergey Ashmarin
Le Sénat canadien doit-il être aboli? La question, convenons-en, figure assez loin dans la liste des préoccupations des citoyens, et ce, tant au Québec qu’au Canada anglais. Ce peu d’intérêt se constate aussi chez les chercheurs universitaires, le sujet ayant été peu abordé à ce jour dans la littérature scientifique. Mais une étude récente, publiée par un groupe de chercheurs du Département de science politique de l’Université Laval, démontre que l’idée d’abolir une institution comme le Sénat représente un sujet d’étude tout à fait digne d’intérêt.
En août dernier, Marc-Antoine Rancourt, Axel Déry et William Poirier, de même que le professeur Yannick Dufresne, ont vu leur étude être publiée en ligne par l’American Review of Canadian Studies. L’abolition du Sénat était au cœur des travaux de recherche des étudiants, alors inscrits à la maîtrise en science politique. Ceux-ci sont aujourd’hui inscrits au doctorat en science politique, le premier à l’Université de Toronto, les deux autres à l’Université Western Ontario.
Dans leur article, les auteurs explorent les systèmes de valeurs sous-jacents qui façonnent les opinions sur l’abolition du Sénat. Leurs découvertes suggèrent qu’un ensemble d’attitudes populistes soutiennent l’idée d’abolition. Les connaissances politiques et l’identification partisane sont d’autres résultats de l’analyse.
«L’idée de l’abolition du Sénat suscite peu d’intérêt chez les chercheurs parce que ce n’est pas une question saillante dans le débat public, explique Axel Déry. On peut comparer ce dossier à celui de la réforme du mode de scrutin. Au Québec comme au Canada, cette question revient régulièrement sans jamais déboucher sur quelque chose de concret. L’abolition du Sénat s’inscrit dans le débat plus large de la remise en question de la chambre haute des parlements à travers le monde.»
William Poirier, pour sa part, rapproche l’abolition du Sénat du questionnement sur l’abolition de certaines institutions. «Il faut, dit-il, inscrire cet enjeu dans la propension de la population à vouloir se défaire d’institutions comme la monarchie, dans des pays comme le Canada ou la Grande-Bretagne.»
La chambre haute de la démocratie parlementaire
Le Sénat constitue la chambre haute de la démocratie parlementaire au Canada. Ses 105 membres examinent les projets de loi de la Chambre des communes car ceux-ci doivent être adoptés par le Sénat afin de devenir des lois. Les sénateurs proposent des façons d’améliorer ces projets. Ils peuvent aussi proposer leurs propres projets de loi. Par ailleurs, ils sont la voix des régions et des groupes sous-représentés au Parlement.
Depuis 1980, différents gouvernements fédéraux ont débattu de la pertinence d’abolir ou de réformer le Sénat, sans aboutir à une solution. Des sondages menés entre 1983 et 2013 révèlent, quant à eux, que les Canadiens n’ont pas de position définitive sur la question. Par ailleurs, le Sénat est aux prises depuis quelques années avec de nombreux scandales, principalement en raison de demandes de remboursement inappropriées.
Dans leur étude, les chercheurs ont analysé les réponses de 6515 électeurs ayant participé à l’Étude électorale canadienne de 2021. À l’affirmation «Le Sénat devrait être aboli», ces électeurs ont répondu être tout à fait d’accord et plutôt d’accord respectivement à 25,8% et 22,3%. Ceux qui ont déclaré être ni d’accord ni en désaccord représentaient 26,8% de l’échantillon. Quant aux fortement en désaccord et plutôt en désaccord, ils étaient respectivement 9,2% et 15,6%.
Selon les auteurs, l’idée de l’abolition du Sénat est surtout motivée par les attitudes populistes. Le populisme peut être décrit comme une idéologie qui considère la société comme une entité divisée en deux groupes homogènes et antagonistes, le peuple bon et vertueux dressé contre l’élite corrompue et maléfique.
«Notre définition, souligne Axel Déry, est que les populistes sont des gens anti-système. Ils ont un rapport différent à la politique. Le populisme est très identitaire. Il est basé sur le ressentiment. Une autre motivation que nous avons eue à écrire cet article est que le populisme est un champ de recherche en pleine expansion, ici et dans le monde.»
William Poirier soutient que le politicien populiste va se mettre en opposition aux politiciens classiques en disant aux citoyens: «Je suis comme vous, je vais entrer dans le système pour le changer. Votez pour moi parce que je vais réussir à faire des changements que les élites ne peuvent pas faire.» «L’idée de rejeter une institution, ajoute-t-il, vient vraiment résonner auprès de ceux qui trouvent que les politiciens en général ne se préoccupent pas d’eux.»
La position forte du Bloc
La question de l’abolition du Sénat interpelle les partis politiques fédéraux. Le Bloc québécois, le Nouveau Parti démocratique et le Parti vert sont en faveur de cet enjeu. Le Parti libéral, pour sa part, est contre alors que le Parti conservateur préfère une réforme de l’institution.
«Les données indiquent que le Bloc québécois a une position claire, les autres partis ce n’est pas aussi fort, affirme William Poirier. Le fait d’être limité au Québec, sa régionalisation, le fait que seuls des Québécois votent pour lui expliqueraient la prise de position forte du Bloc dans ce dossier. Cette prise de position est beaucoup plus incertaine pour les autres partis.»
Selon ce dernier, jusqu’à présent, aucun parti politique, de gauche ou de droite, ne s’est approprié l’idée de l’abolition du Sénat. «C’est comme un enjeu flottant, poursuit-il. Pour que ça devienne au goût du jour, il faudrait un scandale important, un important manque de légitimité. Et même là je ne sais pas quel parti voudrait utiliser ce projet comme cheval de bataille dans le contexte actuel. L’économie et l’environnement sont plus importants aux yeux des citoyens. Un parti qui aurait l’abolition du Sénat dans son programme ne recevrait pas beaucoup de soutien de la population. Il n’aurait pas beaucoup de gains à faire. Au contraire, il perdrait probablement des appuis. Le statu quo semble être, à moyen terme, ce que recherche la population.»