Une invitation à briser le silence, à dénoncer, à demander du soutien. Une succession de couleurs, une manifestation de la douleur, des larmes qui prennent vie, des noms de femmes qui ont perdu la vie. L'exposition collective Ouvrir la voix sur la violence conjugale, qui a lieu jusqu'au 21 septembre à l'édifice La Fabrique, dans le quartier Saint-Roch, émeut. Au menu, quelques animations et une succession d'affiches, dont certaines propulsent l'expérience grâce à la réalité augmentée.
«Ça fesse, hein?», lance Sylvie Pouliot, professeure associée à l'École de design. Elle a organisé cet événement avec Maude Bouchard, son ancienne étudiante, elle-même devenue professeure et directrice du baccalauréat en design graphique. «Mettre le design au service de la communauté et de son bien-être», voilà l'essence même du travail des deux commissaires. En 2006, elles cofondaient l'atelier DIR, pour Design impliqué et responsable.
Il suffit de pénétrer dans la salle d'exposition pour comprendre à quel point des illustrations, de la typographie et des animations peuvent exprimer beaucoup de choses, toucher et devenir des porte-voix.
Inspirer, sensibiliser
Le duo de professeures a donné carte blanche à une trentaine d'anciens étudiants du programme de design graphique ainsi qu'à des enseignants en design graphique et en art et science de l'animation. «L'idée était de créer un événement à l'École de design, de renforcer les liens, le sentiment d'appartenance. On fait ça à la rentrée pour bien accueillir notre nouvelle cohorte, pour que les étudiants se sentent inspirés, mobilisés et se disent: ''Dans 5-10 ans, ce sera peut-être mon tour! ''», indique Maude Bouchard.
«On voulait aussi sensibiliser, poursuit la professeure Pouliot. Quand on parle de violence conjugale, les gens ne sont pas portés à s'impliquer, c'est un sujet qui est encore un peu tabou», dit-elle en saluant la participation bénévole des créateurs et leurs points de vue très différents.
Les professeures ont travaillé avec les membres des Recherches appliquées et interdisciplinaires sur les violences intimes, familiales et structurelles (RAIV) et des partenaires du milieu, comme des maisons d'hébergement. «On leur a expliqué qu'on préparait une exposition et on leur a demandé ce qu'on devrait mettre de l'avant. On a reçu quelques idées, qu'on a transmises aux créateurs», souligne Maude Bouchard. Cette rencontre entre les sciences sociales et l'École de design, entre le monde de l'éducation et le milieu professionnel, c'est ce qu'il faut célébrer à l'Université Laval, selon le duo de spécialistes en recherche-création.
Paul Bordeleau, illustrateur et bédéiste de Québec, signe une œuvre forte intitulée Pétale. Il décrit: «L'amour au poing. Une maison comme une prison. Des excuses de tulipe.» Une ancienne étudiante, Viviane Samson, a fait le choix difficile de se mettre dans la peau de l'homme et a tenté d'avoir un regard empathique. «Quand ça dérape, prends les choses en main: va chercher de l'aide», exhorte la designer graphique.
Des affiches qui prennent vie
À partir d'un téléphone intelligent, en téléchargeant l'application gratuite Artivive, certaines affiches s'animent. Maude Bouchard utilise ce médium dans ses cours depuis l'an dernier. «Les affiches fonctionnent seules, mais elles ont un deuxième souffle avec la réalité augmentée; ça amène d'autres réflexions», affirme la professeure, pendant que sa collègue nous fait découvrir les larmes d'aquarelle qui coulent des yeux de l'œuvre de Marie Lessard, une professeure retraitée en illustration.
Les commissaires et scénographes ont tiré profit de la salle en projetant des animations de jour et de nuit dans les fenêtres, celles du professeur Nicolas Brault, en plus de fournir les dates de l'événement. «Une première qui donnera de la visibilité à l'exposition, mais surtout à la cause. Plus on en parle, mieux c'est», lance la professeure Bouchard.
Au sol, des statistiques s'étirent sur une ligne interminable: «Au Canada, le nombre de féminicides a augmenté de 20% par rapport à 2019, une hausse qui démontre le fléau de cette problématique sociale. Une femme ou une fille est tuée tous les deux jours. Au Québec, entre 1989 et 2022, 1208 victimes (939 femmes et 269 enfants) identifié.e.s ont été tué.e.s par des hommes (conjoints ou des inconnus).» Juste au-dessus, autant de gouttes que de victimes. «Ce déluge est un appel à notre responsabilisation personnelle et collective afin de contrer la violence conjugale», peut-on lire.
L'exposition se complète sur la présentation de livres d'artistes, confectionnés par des étudiants de l'École Intuit Lab Paris. Les deux professeures y ont donné un atelier de quatre jours, où chaque équipe de deux personnes pigeait une lettre du mot empowerment ou power et créait un ouvrage sur la violence conjugale, explique Maude Bouchard. «Ils sont venus suivre notre workshop parce qu'ils avaient envie de faire du design social», se réjouit la professeure, qui en a fait sa vocation.
Les participants à l'exposition sont Andrée-Anne Binette, Paul Bordeleau, Maude Bouchard, Rachel Bouchard, Geneviève Boutin, Nicolas Brault, Charles-Étienne Brochu, Alain Chouinard, Amélie Côté, Mathieu Côté, Jean-Sébastien Daigle, Valérie Gatien, Simon Gauthier, Caroline Gilbert, Valéry Goulet, Catherine Chriscelia Jean-Baptiste, Camille Labrie, Marie Lessard, Étienne Murphy, Stéphane Noël, Michel Olivier, Nadine Ouellet, Joanie Paquet, Louise Paradis, PisHier, Sylvie Pouliot, Maxime Rheault, Marie-Josée Saint-Pierre, Viviane Samson, Pascale Sévigny-Vallières, Jean-Jacques Tremblay et Stéphane Vallée.
Ouvrir la voix a lieu à l'édifice La Fabrique, situé au 295, boulevard Charest Est, local 3153, de 11h à 18h30, jusqu'au 21 septembre.