28 août 2023
Les écoles de village: réalités et enjeux
Dans le cadre de sa thèse, Olivia Roy-Malo a étudié deux petites écoles en milieu rural, fait une recension de ce type d’établissements au Québec et construit un répertoire des initiatives pédagogiques distinctes qu’on y trouve
La doctorante Olivia Roy-Malo a fait la soutenance de sa thèse en anthropologie au mois de juin dernier. À la mi-août avait lieu le dépôt final de sa recherche sur les petites écoles en milieu rural au Québec, un sujet peu étudié jusqu’alors. Ainsi prenait fin un long projet de recherche qui a conduit l’étudiante dans les régions de la Mauricie et du Bas-Saint-Laurent sur les traces de deux écoles primaires.
«J’habite la MRC de Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent, un territoire assez étendu, explique-t-elle. L’école primaire de mon village accueille entre 25 et 30 élèves. Avant ma thèse, je m’intéressais au mouvement des écoles publiques alternatives. Après avoir effectué une revue de presse, j’ai réalisé que plusieurs petites écoles en milieu rural cherchaient à mettre en place des initiatives pédagogiques distinctes pour dynamiser leur établissement ainsi que des stratégies pour attirer de nouveaux élèves. Mon intérêt est né là.»
Au Québec, les régions rurales vivent depuis longtemps des enjeux socioéconomiques particuliers. L’un d’eux est la baisse de la population, un phénomène qui a des répercussions directes sur les petites écoles.
Le Québec compterait environ 350 établissements de ce type. Elles accueillent un nombre restreint d’élèves, dans plusieurs cas moins de 75 enfants. Elles fonctionnent souvent par classes multiniveaux, partageant des locaux et ressources avec les municipalités. Il arrive que seuls quelque 20 élèves fréquentent l’école. Celles qui comptent 12 élèves sont menacées de fermeture.
«Dans le cadre de ma thèse, j’ai fait une recension de ces écoles, poursuit-elle. J’ai comptabilisé celles qui accueillent 100 élèves et moins et reporté ce chiffre sur le nombre total d’écoles supervisées par les centres de services scolaires régionaux. Quatre régions sont ressorties avec un taux élevé: le Bas-Saint-Laurent, l’Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord et la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Dans ces régions, les petites écoles en milieu rural représentent des taux variant entre 40 et 50% de l’ensemble des écoles régionales.»
Selon Olivia Roy-Malo, divers acteurs se mobilisent autour de telles écoles pour assurer leur maintien et contribuer à leur vitalité. «Ces acteurs, écrit-elle en introduction à sa thèse, enseignantes, parents, direction, administrations scolaires, conseillers municipaux, développent des projets pédagogiques qui se distinguent d’un fonctionnement plus conventionnel afin d’accroître l’attractivité de l’école. La visée est souvent triple: augmenter le nombre d’inscriptions, dynamiser le terrain scolaire et développer une formule pédagogique qui valoriserait les différences inhérentes à ces écoles.»
La recherche de la doctorante a permis de mettre en valeur la grande créativité des acteurs.
Les initiatives pédagogiques distinctes qu’elle a recensées comprennent notamment l’enseignement en plein air, les écoles alternatives publiques et l’intégration d’un volet environnemental pour l’ensemble des groupes classes, ainsi que l’intégration d’activités intergénérationnelles pour impliquer des personnes âgées au quotidien scolaire. «Les écoles alternatives publiques sont tout de même plus rares, précise-t-elle. L’intégration d’un volet environnemental se fait en dotant les groupes classes d’une thématique commune comme la protection d’une rivière à proximité ou le fleuve Saint-Laurent. Quant aux activités intergénérationnelles, elles peuvent prendre la forme d’un atelier de lecture, un atelier culinaire ou un atelier d’artisanat.»
De la Mauricie au Bas-Saint-Laurent
Par souci d’anonymisation, les écoles étudiées par Olivia Roy-Malo ont été surnommées la Grande Classe, pour la Mauricie, et l’école Fière, pour le Bas-Saint-Laurent.
Au moment de son terrain de recherche, le village mauricien comptait quelque 200 habitants. Après la fermeture de l’école primaire locale en 2003, quatre parents s’étaient mobilisés pour faire de l’éducation à domicile. La mairie a prêté son concours dès le début du projet en offrant un accès à un local municipal, aux infrastructures sportives et à la bibliothèque. Une autre grande alliée du projet a été une enseignante à la retraite qui s’est beaucoup investie bénévolement. Depuis 2015, les enfants du village reçoivent une éducation scolaire donnée par une enseignante rémunérée par le Centre de services scolaires régional. Cette personne se rend sur place à raison de quelques jours par semaine.
«Aujourd’hui, la Grande Classe est reconnue à titre de projet pilote – elle ne constitue donc pas légalement une école en tant que telle, raconte Olivia Roy-Malo dans son introduction. À son apogée, ils ont été huit enfants à y suivre leur parcours scolaire. Lors de mon terrain, le nombre a oscillé entre trois, cinq et deux enfants. Forcément, le quotidien scolaire s’en trouve marqué. Trois caractéristiques ressortent: un enseignement quasi individualisé, la grande adaptabilité et la flexibilité des horaires scolaires selon les événements et les curiosités des jeunes, et les nombreuses sorties scolaires pour offrir des expériences variées et diversifier leurs perspectives.»
En 2018, seuls 12 élèves fréquentaient l’école Fière du Bas-Saint-Laurent. Le village, enclavé entre d’autres municipalités plus populeuses, n’avait plus aucun service de proximité, si ce n’est une bibliothèque gérée par des bénévoles. La commission scolaire a alors entamé une période d’évaluation et de réflexion sur l’avenir de l’école. Parallèlement, les conseillers et conseillères municipaux ont interpellé l’administration scolaire. Tous partageaient la même volonté: maintenir cette petite école de village par l’entremise d’un projet pédagogique qui permettrait à l’école de se démarquer et de la rendre ainsi plus attrayante.
«L’approche qui fut retenue, poursuit-elle, prévoyait des changements pédagogiques majeurs en introduisant la pédagogie par projet, en révisant les méthodes d’évaluation et en favorisant une diversification des contextes d’apprentissage, inspirée notamment par l’apprentissage en nature. À l’an un du projet, en 2019, au moment d’amorcer mes activités de recherche, l’initiative avait permis d’attirer quelques enfants du village, mais aussi de l’extérieur, et comptait 18 élèves.»
Un esprit de solidarité
On le voit, la réussite des petites écoles en milieu rural repose sur un esprit de solidarité. Le cas de la Grande Classe a permis de voir une mobilisation citoyenne qui s’est maintenue depuis 2008. Le cas de l’école Fière a permis d’assister aux premières étapes de la mise en œuvre d’un projet pédagogique distinct. En Mauricie, des parents persévérants ont trouvé une solution à l’absence de services scolaires de proximité. Dans le Bas-Saint-Laurent, le tournant pédagogique effectué à l’école a été orchestré principalement par les acteurs scolaires, en partenariat avec les acteurs municipaux.
«Le principal constat de la recherche est le suivant: pour que ces initiatives pédagogiques puissent connaître du succès, affirme Olivia Roy-Malo, il doit y avoir un partenariat à tous les niveaux.»
Le principe de décloisonnement se trouve au cœur des initiatives de la Grande Classe et de l’école Fière. «Cela, dit-elle, advient par l’engagement des acteurs concernés, par la volonté de placer l’école comme un pôle de la vie communautaire des villages et par la volonté d’élaborer des méthodes d’apprentissage connectées à des situations réelles.»
La doctorante rappelle qu’il existe des cas d’écoles qui ont fermé «par faute d’implication». «Parfois, souligne-t-elle, les parents préfèrent inscrire leurs enfants dans une autre école, soit parce qu’elle est plus proche de leur lieu de travail et que cela les accommode davantage. D’autres fois, certains préfèrent que leurs enfants fréquentent un milieu qui peut être plus diversifié. Bref, il existe plusieurs situations.»
Cet automne, Olivia Roy-Malo a comme projet de produire un document tiré de sa thèse de doctorat et destiné aux centres de services scolaires. Il contiendra les résultats de sa recension des petites écoles en milieu rural au Québec. «Il comprendra aussi un répertoire des initiatives pédagogiques distinctes et des stratégies de revitalisation que j’ai colligées dans ces établissements, ajoute-t-elle. Ce panorama d’expériences variées pourrait donner des idées à d’autres petites écoles en milieu rural.»