De nombreux propriétaires de maisons unifamiliales ont la perception que la démolition, dans leur voisinage, d’un immeuble vieillissant, suivie de la construction, au même endroit, d’un immeuble résidentiel visuellement plus imposant, peut affecter négativement la valeur de leur propriété. Pour tester cette assertion largement inspirée du syndrome du «pas dans ma cour», quatre chercheurs, dont deux de l’Université Laval, ont mené un projet de recherche dont les résultats ont paru au mois de juin dernier dans un article scientifique de la revue Journal of Housing and the Built Environment.
«Au départ, la Ville de Québec se posait aussi la question, alors qu’un propriétaire de maison unifamiliale de l’arrondissement de Sainte-Foy se plaignait qu’une maison voisine, achetée puis démolie pour faire place à un immeuble neuf, allait faire baisser la valeur des maisons situées à côté», explique le professeur de l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional, et chercheur principal de l’étude, Jean Dubé. «Nous avons voulu vérifier cet argument, poursuit-il. Est-ce vrai? Ce qu’on a trouvé: ce n’est vraiment pas le cas. C’est même l’inverse.»
557 démolitions
Le territoire étudié par l’équipe de chercheurs comprenait les villes de Québec, de l’Ancienne-Lorette et de Saint-Augustin-de-Desmaures. Un algorithme a été développé pour identifier les matricules qui disparaissent ou qui apparaissent dans les rôles d’évaluation au fil du temps. Ces matricules ont été validés visuellement par Google Street View. En bout de ligne, les chercheurs avaient identifié 557 démolitions survenues entre 2006 et 2016. Cette base de données a ensuite été combinée à une base de données sur les transactions de maisons unifamiliales survenues à Québec entre 2004 et 2017. Résultat: les reconversions résidentielles étudiées jointes au processus de densification suggèrent un prix net moyen plus élevé d’environ 2,48% de la valeur des propriétés environnantes.
«Entre le boulevard René-Lévesque et la Grande-Allée, à la hauteur de l’avenue Maguire, se trouve un petit quartier où plusieurs bungalows ont été démolis pour faire place à des jumelés ou des triplex», indique le professeur Dubé.
Les opposants à la reconversion résidentielle évoquent des arguments tels qu’un changement important dans le champ de vision et une perte de tranquillité, lesquels facteurs vont, selon eux, affecter négativement la valeur de leur propriété. En revanche, les acheteurs du nouvel immeuble voient dans la reconversion un potentiel de maximisation de leur investissement et un gain financier plus élevé lors d’une revente.
«On ne nie pas qu’il y a un facteur humain important autour de la reconversion résidentielle et que celle-ci peut bouleverser la vie des gens vivant près des projets, souligne -t-il. Mais ce n’est pas nécessairement tout le monde qui va percevoir les aspects négatifs aussi fortement. C’est un peu la conclusion que l’on tire. De voir que la reconversion fait augmenter les valeurs. Cela veut dire, grosso modo, que l’acheteur achète pour être là. Il n’a pas nécessairement connu ce que c’était avant. Il voit plutôt l’occasion d’être dans un quartier dynamique, en pleine croissance de la demande pour le logement. Tous des avantages qui poussent les valeurs à la hausse.»
Selon lui, démolir une maison unifamiliale vieillissante pour la remplacer par un ou quelques bâtiments neufs composés d’unités de logement plus petites apparaît comme un moyen intéressant de densifier une ville. L’un des avantages est d’offrir des unités d’habitation individuelles plus abordables pour davantage de ménages. Un autre avantage, purement financier, consiste à revendre plus cher les deux nouvelles unités de logement construites sur le terrain occupé auparavant pour une maison unifamiliale.
«Celui qui aurait acheté le bungalow aurait pu le retaper et le revendre, disons, pour 150 000$ de plus, indique-t-il. Mais en démolissant le bâtiment et en le remplaçant par deux maisons de ville, il vient probablement de doubler son profit en transformant le terrain d’origine en deux terrains plus petits.»
Le chercheur insiste sur la croissance de la population. «La croissance urbaine est tellement forte, dit-il, qu’il est possible que des banlieues, qui étaient à la base des première et deuxième couronnes, soient appelées à se requalifier et à s’urbaniser de manière un peu plus importante. C’est notamment la croissance démographique qui amène ces changements-là.»
Un deuxième centre-ville
Les enquêtes origine-destination caractérisent les habitudes de déplacements des personnes sur un territoire donné. Elles sont réalisées par différents partenaires, dont le ministère des Transports et de la Mobilité durable et le Réseau de transport de la Capitale. «Si on regarde les enquêtes réalisées avant la pandémie, explique Jean Dubé, on se rend compte qu’un grand lieu de destination est le pôle Sainte-Foy. Avec les hôpitaux, les centres commerciaux, l’Université Laval, on a pratiquement un deuxième centre-ville à Québec. Dans ce centre en très forte croissance, on a une demande très forte pour pouvoir se loger.»
L’étude révèle également que les reconversions sont plus fréquentes dans les quartiers mixtes, denses et situés près de l’Université Laval. «La façon dont on a structuré la banlieue, soutient le professeur, fait en sorte qu’on a des bâtiments qui sont des bungalows qui ne sont pas tous nécessairement de construction de qualité supérieure. Par ailleurs, plusieurs d’entre eux sont sur des terrains de grandeur assez appréciable.»
Selon lui, densifier tout en bâtissant autrement que par la reconversion résidentielle est possible à Québec, à condition de modifier les politiques urbaines en vigueur.
«Il faut tenter de retoucher ces règlements hérités de l’époque des premières banlieues, souligne-t-il. À Québec, on n’a pas le droit de construire une minimaison dans sa cour arrière. Les règlements ne permettent pas non plus d’intercaler un petit logement entre deux bungalows, en subdivisant les lots. Ce serait une façon pourtant simple d’augmenter la densification du quartier, sans le dénaturer par rapport à son aspect banlieue d’origine. Comme les règlements municipaux ne permettent pas ça, c’est pour ça qu’on se retrouve avec des reconversions comme celles que l’on voit.»
Depuis 2016, comment le phénomène de la reconversion résidentielle a-t-il évolué à Québec? «Je ne sais pas si la tendance se maintient, répond-il. Je me promène dans les rues de mon quartier, celui de Sainte-Foy. Depuis l’étude, je porte une attention particulière aux projets de reconversion. Je peux nommer plein d’exemples patents. Des maisons de ville se sont bâties. Je ne sais pas si la tendance est aussi forte, ou plus forte qu’elle était. Mais elle est encore certainement là.»
Selon lui, ce phénomène offre deux choix aux décideurs publics. «Soit nous continuons à étaler la ville en ne touchant pas aux banlieues, dit-il, soit on réfléchit de manière plus holistique. La reconversion résidentielle signale certainement quelque chose d’assez important qui se passe sur le territoire. Il y a peut-être une réflexion globale à avoir.»
L’étude parue dans le Journal of Housing and the Built Environment est signée par Jean Dubé et François Des Rosiers, de l’Université Laval, Maha AbdelHalim, de l’INRS-UCS, et Nicolas Devaux, de l’UQAR.