«Québec est une ville d'assurance. Donc toutes les compagnies d'assurance ou presque de la région ont des liens avec l'Institut intelligence et données (IID) de l'Université Laval», dépeint son directeur, Christian Gagné, aussi professeur au Département de génie électrique et de génie informatique. Traiter des données sur les différents risques est la base dans ce domaine, pour lequel l'intelligence artificielle (IA) propose de nouvelles approches.
Le gouvernement québécois a annoncé un financement de 3M$ sur trois ans, le 29 juin, pour permettre à l'IID de poursuivre ses activités et ainsi maintenir son appui à quelque 150 entreprises et organisations, notamment en assurance, en aérospatiale ou en santé.
Voir le communiqué officiel de l'annonce.
«Ce renouvellement du financement qu'on avait eu en 2020 vise à aider le milieu socio-économique à se développer par des stages, de la formation, du transfert de connaissances, des projets de recherche, de l'accompagnement, énumère Christian Gagné en marge de la conférence de presse. L'expertise en intelligence artificielle émerge des universités d'abord, mais ça percole très rapidement dans le milieu.»
Fondé en janvier 2020, l'IID est particulièrement actif dans l'utilisation de l'intelligence artificielle pour le traitement de données du monde réel. «On parle de données qui proviennent de caméras, de robots, de planchers d'usine, de véhicules de transport, de données géoréférencées. On a vraiment une masse assez importante de chercheurs qui travaillent sur ces questions-là et c'est ce qui nous distingue à l'Université Laval», mentionne le directeur.
Il ajoute que l'enveloppe provinciale permet de consolider ce qui a été construit depuis trois ans et soutiendra la vingtaine de professionnels de recherche de l'IID qui travaillent avec le milieu.
«On est vraiment fort en IA au Québec»
«Au Québec, pour notre taille, on est vraiment très fort, on a une avance dans ce domaine», poursuit Christian Gagné. Il évoque une étude diffusée par le Forum IA selon laquelle le Québec, s'il était une nation indépendante, serait au 7e rang mondial par la force de son écosystème en intelligence artificielle, le Canada étant au 4e rang. Le directeur de l'IID souligne que les premières activités en IA à l'Université Laval remontent à 1967.
Ce qui occupe ses chercheurs en 2023 porte notamment sur la fiabilité et la robustesse des systèmes d'intelligence artificielle. Il donne l'exemple de l'aéronautique: «Si on a des systèmes qui gèrent l'avion, qui assistent les pilotes, l'échec n'est pas une option. Il faut que ce soit robuste.»
D'autres travaux effectués à Québec portent sur la compréhension de ces systèmes, des réseaux de neurones artificiels, dit-il, souvent comparés à des boîtes noires. «C'est performant, ça donne de bons résultats, mais on ne sait pas comment ça fonctionne. On n'est pas capable de bien expliquer les mécanismes très complexes que représentent les centaines de millions de valeurs numériques formant les réseaux de neurones. Ces modèles ne sont pas interprétables aisément par l'humain», soulève Christian Gagné.
Or, les compagnies d'assurance souhaitent avoir des systèmes qui permettent d'expliquer «pourquoi la prime de X est plus grande que la prime de Y» , donne-t-il comme exemple. «Savoir interpréter ces systèmes, ce sont des questions qu'on se pose à l'IID.»
Une sensibilité aux enjeux éthiques
Si son équipe a une expertise plus technique, elle travaille de pair avec l'Observatoire international sur les impacts sociétaux de l'intelligence artificielle et du numérique de l'Université Laval, qui tente de définir des lignes directrices et d'encadrer ces activités. «On ne veut pas faire n'importe quoi, on ne veut pas le faire n'importe comment», insiste le directeur de l'IID, en précisant que beaucoup de chercheurs techniques ont une sensibilité aux enjeux éthiques et à l'acceptabilité sociale quand ils développent des systèmes.
L'IA émerge actuellement sur la place publique et suscite des questionnements sur les impacts possibles, pensons aux réactions déclenchées par ChatGPT. «Il y a une réflexion qui est très saine fondamentalement depuis quelques mois», trouve le professeur Gagné, en précisant que le milieu universitaire s'y penche depuis plus longtemps. Que les jeunes du secondaire jusqu'aux niveaux universitaires avancés puissent utiliser ChatGPT de bonnes et de moins bonnes façons amène, par exemple, des enjeux sur l'intégrité des évaluations et la qualité des apprentissages. Des questions auxquelles l'Université Laval veut participer, dit-il.
Il met en garde contre un réflexe de protection et de rejet des nouvelles technologies. «Il y a toujours eu des changements, il faut être capable de vivre avec. […] Dans trois ans, on va avoir passé à autre chose et on va beaucoup mieux maîtriser l'impact et l'utilisation de ces outils-là, qui seront encore meilleurs et plus intéressants», croit-il.
Suivre le rythme effréné
Comment suivre le rythme quand l'intelligence artificielle évolue à vitesse grand V? Le professeur Gagné reconnaît qu'il est difficile d'être au courant de toutes les avancées depuis cinq ans, avec la recherche qui a explosé et la communauté qui a intégré beaucoup de jeunes chercheurs. Les colloques en IA qui accueillaient 500 personnes il y a une quinzaine d'années en accueillent aujourd'hui 8000 à 10 000, sans compter les participants en ligne. «Ça crée un dynamisme qui est assez remarquable, mais c'est essoufflant également.»
L'IA a un potentiel de transformer la plupart des disciplines, de changer les façons de faire et de travailler, d'où l'intérêt que lui porte la communauté, selon lui. Avec son expertise de pointe dans le domaine, le Québec doit «s'assurer que la transformation dans la prochaine décennie se fasse de façon intéressante et nous mette dans une meilleure position encore, pas seulement le milieu universitaire, mais l'ensemble des secteurs», estime le directeur de l'IID, qui prépare des demi-journées de formation en région pour rencontrer des gens d'affaires souhaitant intégrer l'IA dans leurs activités.