15 juin 2023
La vue sur le fleuve Saint-Laurent: quelle est sa valeur économique?
Une étude révèle que le prix d’une chambre avec vue sur le fleuve, dans les régions de Charlevoix et du Bas-Saint-Laurent, est en moyenne 9,56% plus cher que celui de chambres comparables mais sans vue sur le fleuve
Comment quantifier la valeur économique d’une vue sur le fleuve Saint-Laurent? La réponse n’est pas simple. Mackens Brejnev Placide, Isabel Torres Ospino, Anthony Lapointe et Vincent Martel, quatre étudiants à la maîtrise, en savent quelque chose, eux qui viennent de passer deux sessions à creuser le sujet dans les régions touristiques de Charlevoix et du Bas-Saint-Laurent de l’essai-laboratoire de l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval. La petite équipe, qui était supervisée par le professeur Jean Dubé, a présenté les résultats de sa recherche le vendredi 28 avril au pavillon La Laurentienne. Huit projets étudiants ont été présentés ce jour-là sur le thème général «Le fleuve Saint-Laurent dans tous ses états».
«En immobilier, souligne le professeur, il y a trois facteurs pour expliquer le prix: la localisation, la localisation et la localisation. C’est un moyen un peu indirect pour tenter de mesurer une valeur économique du paysage. Nous y sommes allés avec une approche de préférences révélées. Donc essayer de partir avec des observations, ce qu’on voit, ce qui est affiché, et tenter de récupérer ou de déduire la valeur. C’est ce qu’on a fait.»
Les chercheurs ont récolté les données sur les prix et les caractéristiques des chambres d’hébergement dans les hôtels, motels, gîtes et auberges des deux régions touristiques. Pour cela, ils ont fait appel à l’intelligence artificielle et à la programmation informatique, et ont développé un robot avec lequel ils ont interrogé le site Web Expedia. Au total, le robot a récolté 7017 observations pour la période du 20 décembre 2022 au 10 janvier 2023. Il a aussi interrogé la base de données d’Expedia pour les deux semaines de la construction, en été.
«Le modèle statistique que nous avons développé suggère qu’une chambre avec vue sur le fleuve se loue, en moyenne, 9,56% plus cher que des chambres comparables qui n’offrent pas cette vue, explique-t-il. La prime de localisation, soit le coût supplémentaire associé à la vue, serait de 17,11$ par nuit.»
Rive nord et rive sud
Les chercheurs ont comparé la prime de localisation selon qu’on se trouve sur la rive nord ou sur la rive sud. Sur la rive sud, ils n’ont noté aucune différence entre les prix de location d’une chambre avec vue sur le fleuve comparativement à une chambre sans cet attrait. Par contre, sur la rive nord, la prime de localisation s’établit à 12,02%, ou 23,85$.
«Il ressort que le paysage fleuve a une valeur surtout pour la rive nord parce qu’elle ressort autant l’été que l’hiver, soutient Jean Dubé. Alors que pendant les vacances de la construction, en été, on mesure une prime de localisation équivalente, soit un peu plus que 14%, et ce, autant sur la rive nord que la rive sud, pour la vue sur le fleuve. Sur la rive sud, la prime de l’attrait du fleuve ressort surtout l’été.»
Et le taux d’occupation des chambres? «On peut dire que pour les deux régions ensemble, le taux d’occupation passe de 52% en hiver à 75% en haute saison l’été», répond-il.
Il ajoute que, sur la rive sud, l'hiver n’est pas une période très achalandée au point de vue touristique à cause notamment de paysages maritimes probablement moins prisés. «En revanche, poursuit-il, la rive nord, même l’hiver, demeure attractive. Même si on n’a pas accès au fleuve, on a une belle vue sur lui. La rive nord offre un paysage panoramique qui permet de l’observer de haut. On ne trouve pas ce panorama sur la rive sud. Même si c’est l’hiver, les gens veulent aller au Manoir Richelieu et au Massif de Charlevoix. Le casino du Manoir attire, même en plein hiver. Pensons aussi aux voyages d’affaires et aux congrès.»
L’équipe de recherche s’est également penchée sur ce que peut représenter le fleuve comme actif économique pour les régions de Charlevoix et du Bas-Saint-Laurent. «Pour les deux régions ensemble, nos calculs arrivent à une valeur économique se situant entre 84 et 237 millions de dollars», souligne le professeur.
Les résultats de l’étude démontrent que l’industrie touristique bénéficie grandement de cette ressource que représente le fleuve Saint-Laurent. Dans leur conclusion, les chercheurs affirment que des stratégies de conservation pourraient stimuler l’économie touristique, assurer la préservation de la faune et de la flore et procurer un accès plus facile au fleuve.
On peut lire la synthèse du projet de recherche (PDF) dans la récente édition de Perspecto, la revue des travaux de l’essai-laboratoire d’aménagement du territoire et de développement régional 2022-2023.