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Quand une personne âgée ne peut plus se laver dans sa baignoire, dormir dans son lit ou cuisiner sur son comptoir parce que tout est trop encombré, c'est un signe d'accumulation compulsive. Un problème tabou qui, avec le vieillissement, devient une charge pour la famille qui bascule dans la proche aidance, et un obstacle à la mise en place de services sociaux à domicile, soulève une récente étude.
Annik Moreau a signé un article sur le sujet dans La Revue canadienne du vieillissement, dans le cadre de son doctorat en travail social à l'Université Laval. Cette réalité, elle la connaît par sa pratique comme travailleuse sociale en CLSC pendant une dizaine d'années, principalement en santé mentale. «C'est vraiment les défis que j'ai rencontrés sur le terrain avec mes collègues qui m'ont amenée à m'intéresser à l'accumulation compulsive.»
Elle en a fait son sujet de maîtrise, avant d'explorer les enjeux de ce phénomène pour les proches aidants et les intervenants sociaux dans sa thèse, dirigée par Bernadette Dallaire, professeure à l'École de travail social et de criminologie.
La syllogomanie, soit une difficulté ou une souffrance à se départir des objets, touche 2% à 6% de la population, la proportion étant plus importante chez les personnes âgées, selon l'American Psychiatric Association. «C'est une problématique qui apparaît souvent à la fin de l'adolescence ou au début de l'âge adulte, mais ça tend à s'aggraver à chaque décennie de vie. C'est ce qui fait qu'on en retrouve davantage chez des personnes âgées de 55 ans et plus», explique l'autrice de l'étude. Elle ajoute que les événements rencontrés en vieillissant peuvent contribuer à amplifier le problème, comme le deuil, l'insécurité financière ou le fait d'avoir demeuré longtemps dans le même domicile sans jamais avoir déménagé.

Annik Moreau
Le vieillissement, un point de bascule
Annik Moreau a réalisé des entretiens semi-dirigés avec 11 proches aidants et 8 intervenants sociaux des régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches pour mieux comprendre leur interaction avec des personnes âgées dans ce contexte. Pour la majorité des proches aidants interviewés (9 sur 11), l'aîné vivait avec un problème d'accumulation depuis des décennies.
Les résultats ont toutefois révélé que c'est le vieillissement, plus que la syllogomanie, qui est le «point de bascule» vers la proche aidance. «Il arrive un point où l'on n'est plus juste une fille en soutien à sa mère. Ça devient plus important, plus soutenu ce qu'on a à apporter», illustre la chercheuse. Le déclin des capacités de la personne âgée fait augmenter l'inquiétude des proches qui craignent pour sa sécurité, ce qui les amène à s'impliquer davantage.
Un domicile très encombré vient avec des risques de chutes, des difficultés à se lever, à quitter les lieux rapidement en cas d'incendie, à accéder aux médicaments. «C'est vraiment une source de stress importante pour les personnes proches aidantes», a constaté l'autrice principale de l'étude.
L'entretien étant plus difficile, il peut aussi y avoir de la poussière, ce qui n'aide pas quand une personne âgée fait, par exemple, de l'emphysème. Mais attention, insiste Annik Moreau, l'encombrement n'est pas synonyme d'insalubrité. Dans sa pratique de travailleuse sociale, elle a visité des espaces surchargés, sans être sales pour autant.
Un obstacle aux services
Il y a beaucoup de tabous autour de la syllogomanie, si bien que les personnes accumulatrices ne vont pas chercher d'aide. «Elles ont peur de passer pour des malpropres», relate la chercheuse.
— Annik Moreau
Avoir une maison ou un appartement très encombré est aussi un obstacle pour obtenir des services à domicile, comme de l'entretien ménager, dit-elle. Les intervenants ne se sentent pas en sécurité, outillés et certains organismes refusent d'envoyer leurs employés. «Ça peut compromettre le maintien à domicile d'une personne âgée», souligne l'autrice de l'étude, en ajoutant que ce maintien repose alors en grande partie sur les proches.
Il y a par ailleurs un déni de la problématique chez plusieurs personnes âgées, qui ne considèrent pas avoir un trouble d'accumulation, ce qui amène des tensions avec l'entourage et complique l'accès aux soins de service, qui sont basés sur le consentement. Des proches aidants lâchent prise pour ne pas compromettre la relation, rapporte Annik Moreau.
Certains lui ont dit attendre que la situation devienne urgente et dangereuse pour que des services soient mis en place ou que les instances municipales s'en mêlent, comme les pompiers qui font une visite préventive et donnent un avertissement de faire de l'ordre avant leur retour. «L'objectif, ce n'est pas de rendre l'environnement parfaitement épuré comme dans les revues, mais plus sécuritaire», expose l'autrice.
De pousser une personne âgée dans ses derniers retranchements n'est pas facile. «C'est très stressant pour une personne accumulatrice quand il y a des interventions imposées. C'est vécu très difficilement d'avoir des délais serrés où il faut vider une partie de son domicile alors qu'on n'est pas préparé à ça. Pour elle, il y a une détresse liée au fait de se départir de ses biens», rappelle Annik Moreau.
Ce n'est pas plus facile pour les proches, poursuit-elle. «Des fois, ils vont vouloir bien faire, collaborer et aider, mais malgré leur bonne volonté, ça peut se retourner contre eux. La personne accumulatrice peut percevoir que son fils n'est pas de son côté ou que sa fille est bien contente de vider, dans le fond. Ça peut brouiller les relations.»
Informer pour déstigmatiser
Avec le vieillissement de la population, il est raisonnable de croire que de plus en plus d'aînés et de proches aidants devront composer avec l'accumulation compulsive et les difficultés qui en découlent, peut-on lire dans l'étude.
À la lumière des commentaires recueillis chez les proches aidants autant que chez les intervenants, Annik Moreau recommande de travailler en amont, d'informer la population sur la syllogomanie chez les personnes âgées. Elles-mêmes pourront reconnaître leur problème, se sentir interpellées, déstigmatisées, croit l'autrice.
«Il y a différents leviers d'intervention qui sont possibles avant que la situation ne devienne dangereuse et urgente», continue-t-elle en donnant comme exemple des propriétaires qui appliquent les clauses du bail ou les services municipaux qui font respecter les règlements.
Une proche aidante a souligné qu'une intervention médicale ou en santé physique pour aborder la syllogomanie passe parfois mieux qu'un suivi psychosocial ou de santé mentale. «Les personnes âgées sont plus ouvertes, on dirait», a-t-elle soulevé en entrevue.
Annik Moreau insiste sur l'importance d'écouter les proches, de les prendre au sérieux quand ils appellent les différents services, étant donné que les personnes âgées sont souvent dans le déni. «Est-ce qu'on les réfère à une ressource? Est-ce qu'on les entend? Est-ce qu'on est outillé pour donner de l'information?», questionne-t-elle.
Son étude, faite dans la région de Québec, a démontré un besoin de ressources, puis d'arrimage entre les ressources pour aider les personnes âgées aux prises avec un trouble d'accumulation compulsive. «On a besoin de formation chez les intervenants. Parce que d'un côté, les personnes proches aidantes disent se sentir démunies, mais les intervenants aussi; ils ne savent pas toujours comment soutenir les proches dans ces contextes-là.»
Dans son échantillon, il y avait autant des intervenants du réseau de la santé que du milieu communautaire. «Selon nos données, les services du milieu communautaire et de santé mentale arrivaient mieux à répondre à la fois aux besoins de santé physique et ceux liés à la problématique d'accumulation», note Annik Moreau, qui travaille aujourd'hui comme professionnelle de recherche à l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux.