
Philomène Boucher aura dix ans cette semaine. Cette jeune lectrice a été filmée par Daisy Pelletier il y a deux ans durant le tournage de la vidéo de présentation de la doctorante pour le concours du CRSH. Sur cette capture d’écran, l’enfant lit le tome 1 de Clochat veut ses neuf vies. Philomène aime plus ou moins lire d’elle-même parce que cela lui demande un effort énorme. Par contre, elle a toujours adoré que sa mère lui fasse la lecture, surtout le soir, dans le lit. Elle a dû travailler fort pour le décodage, mais elle s’améliore enfin. Elle a aussi quelques coups de coeur qui lui donnent envie de lire. Elle est partagée entre lire des livres de son niveau, qu'elle trouve trop «bébé», et lire des livres plus difficiles, qu’elle trouve «cool». Elle a accroché sur plusieurs mangas, pour imiter sa soeur aînée au départ, et par intérêt par la suite. Bref, elle commence à prendre plaisir à lire et à mieux comprendre l’importance de la lecture.
Daisy Pelletier est inscrite au doctorat en psychopédagogie à l’Université Laval. Cette ex-enseignante au niveau secondaire, aujourd’hui chargée de cours au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage, faisait partie des 25 finalistes au récent concours J’ai une histoire à raconter du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Près de 200 candidates et candidats avaient pris part à cette compétition annuelle axée sur une présentation maximale de trois minutes ou de 300 mots. La proposition de la doctorante s’intitulait Motivation, engagement et réussite en lecture d’élèves de 9 à 16 ans: la contribution du soutien offert par l’enseignant, les parents et les amis. La finale a eu lieu le 29 mai à l’Université York de Toronto.
«La lecture doit être prise dans son sens le plus large, souligne-t-elle, qu’il s’agisse de romans, d’encyclopédies ou de textes sur l’actualité. C’est tout un outil pour faire son chemin dans la vie. Développer ses habiletés en lecture est une compétence essentielle pour la réussite scolaire et pour l’intégration sur le marché de l’emploi.»
Rappelons les nombreux bienfaits de la lecture chez l’enfant et l’adolescent. Elle aide, entre autres, à augmenter la concentration et le vocabulaire, en plus d’améliorer la mémoire.
La doctorante mène son projet de recherche sous la supervision des professeurs Frédéric Guay et Érick Falardeau. Elle cherche à savoir si les enseignants, parents et amis d’élèves âgés entre 9 et 16 ans ont le pouvoir de contribuer de façon significative à leur motivation à lire. Un questionnaire a été élaboré pour évaluer les différents comportements en la matière, par exemple si l’enseignant, le parent ou l’ami représente un modèle de lecteur, ou s’il s’intéresse aux goûts d’un enfant en lecture. Différentes formes d’aide à la lecture ont été identifiées par un échantillon de 1200 élèves de 4e et 6e années du primaire, et de 2e et 4e années du secondaire. Comme autre étape, 1400 nouveaux élèves ont été recrutés pour remplir une version améliorée du questionnaire basée sur leur soutien reçu en lecture, leur motivation à lire et leurs habitudes de lecture.
«L’analyse des données révèle que chacun des agents sociaux que sont les enseignants, les parents et les amis apporte une contribution unique, explique-t-elle. Chacun apporte quelque chose que les deux autres ne peuvent pas faire. La contribution des parents et des amis s’avère particulièrement importante.»
Trois types de soutien à la lecture
Daisy Pelletier insiste sur les types de soutien à la lecture. «Un soutien en lecture, dit-elle, c’est n’importe quel comportement que l’on met en place consciemment pour inciter l’élève à lire. Par exemple, l’amener dans un salon du livre. Dans ma recherche, j’ai déterminé qu’il existe trois types de soutien: le soutien à l’autonomie, le soutien à la compétence et le soutien à l’appartenance sociale.»
Le soutien à l’autonomie consiste à faire en sorte que l’élève soit son propre agent de lecture, que l’on prenne en compte sa perspective. En soutien à la compétence, on s’assure que l’élève ait ce qu’il faut pour comprendre ce qu’il lit, et que les livres soient de bon niveau pour lui.
«Mon préféré est le soutien à l’appartenance sociale qu’on appelle l’engagement, poursuit-elle. On doit faire sentir à l’élève que la lecture est une chose importante pour nous. Par exemple, voir le père lire est une façon d’optimiser l’amour de la lecture en montrant que cette activité fait partie de la culture de la famille. Le parent peut demander à l’enfant s’il a terminé son roman. Ou lui dire qu’il se souvient avoir entendu parler d’autres romans du même auteur. Ce type de soutien semble le plus important pour les élèves. Ceux-ci sont particulièrement réceptifs aux comportements qui favorisent leur sentiment d’appartenance.»
Selon la doctorante, il ressort de l’enquête que l’engagement des parents et aussi celui des amis représente une excellente contribution aux variables d’intérêt chez l’élève, notamment leur motivation. «Ce n’est pas juste le fait que les parents lisent, explique Daisy Pelletier, mais tout ce que parents et amis vont semer, qui va faire en sorte que l’élève reçoive le message que la lecture est une activité agréable, importante et qui sert à quelque chose. Lire est un comportement authentique, que l’on fait naturellement. En lisant l’élève sent qu’il appartient vraiment à ce que j’appelle une culture de la lecture.»
L’échantillon comprenait deux grands groupes, l’un au primaire, l’autre au secondaire. «Nous voulions comparer les plus jeunes et les plus vieux, souligne-t-elle. Les résultats montrent que ceux du secondaire bénéficient autant du soutien en lecture que ceux du primaire. L’idée qu’il est trop tard pour intervenir en lecture auprès des plus vieux ne tient donc pas la route.»
La chercheuse rappelle qu’à partir de la 4e année du primaire certains élèves continuent de lire pour le plaisir, mais d’autres le font surtout pour des raisons externes, comme faire plaisir à leurs parents. À l’adolescence, certains élèves tournent le dos à la lecture pour faire d’autres activités.

Le 29 mai, jour de la finale du concours J’ai une histoire à raconter à Toronto, Daisy Pelletier est photographiée en compagnie de la doyenne Annie Pilote, de la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval.